INTERAVIA – Août 1966 : Le Concorde – navigation et exploitation

L’avion supersonique Concorde est conçu, du point de vue navigation, pour répondre aux exigences actuelles et futures du contrôle de la circulation aérienne, et cela avec seulement trois membres d’équipage à son bord. Il appartiendra par conséquent au premier pilote et au co-pilote d’accomplir la tâche dont se charge le navigateur sur les long-courriers actuels.
Pour faciliter le travail des deux pilotes, les ingénieurs ont mis au point quelques nouveaux équipements de navigation qui, bien qu’ils se caractérisent par un haut degré d’automaticité, permettent néanmoins à l’équipage d’intervenir à tout moment. Cette liberté d’action est en effet jugé indispensable à cause des modifications de plan de vol qui sont parfois imposées par la situation ou les nécessités de l’exploitation.
L’équipement de navigation du Concorde est un ensemble intégré conçu pour être utilisé dans n’importe quelle région du globe. Ses éléments principaux sont une plate-forme inertielle et un calculateur digital avec son poste de commande. La plate-forme inertielle est reliée aux instruments de vol, à l’autopilote et au radar météorologique pour donner la référence verticale.

Maquette du poste de pilotage du Concorde. On voit au centre du tableau de bord l’écran radar (à gauche) et l’indicateur cartographique. Le poste de pilotage est étudié pour que les pilotes puissent assurer la navigation sans quitter leur siège. Comme on peut le constater, l’équipage jouit d’une excellente visibilité lorsque la pointe avant est abaissée.

Aménagement du poste de pilotage. 1 – siège du premier pilote ; 2 – siège du copilote ; 3 – siège supplémentaire ; 4 – siège de l’ingénieur navigant ; 5 – table de travail de l’ingénieur navigant ; 6 – panneau de contrôle de l’ingénieur navigant ; 7 – panneau des interrupteurs ; 8 – panneau supérieur ; 9 – équipements électroniques ; 10 – équipements électriques ; 11 – pupitre central ; 12 – pupitres latéraux ; 13 – tableau de bord ; 14 – pare-brise ; 15 – fenêtres latérales.

L’installation se compose de deux systèmes indépendants qui fournissent des données de navigation à un indicateur cartographique. Ce dernier comporte un petit projecteur de films (cartes de navigation) et indique la route à suivre sur un écran de 20 centimètres de diamètre. Il a été retenu du fait qu’il donne des informations qui permettent de naviguer avec une grande facilité. Les changements de cap ne nécessitent pas le moindre calcul : le pilote fait virer son appareil jusqu’à ce que l’aiguille matérialisant la route passe par le point qu’il désire survoler. L’aiguille de route est entraînée par l’intermédiaire de l’un des calculateurs et la position déterminée par l’autre système est indiquée séparément par un index mobile, ce qui permet de comparer les informations fournies par les deux systèmes. En plus de la position du moment représentée normalement par le centre de l’écran, l’indicateur donne la position déterminée à l’aide d’un système hyperbolique ou au moyen du VOR et du DME. Par ailleurs, il peut être utilisé pour la projection des cartes de zone terminale et des cartes d’aérodrome ainsi que pour l’affichage de listes de vérification. Les cartes et check-lists classiques ne sont emportées que pour être éventuellement utilisées en cas de panne de l’indicateur.
L’indicateur cartographique sert également à introduire dans le calculateur les données relatives aux changements de route. Le choix des positions est uniquement limité par la couverture de la carte que reproduit la bobine du film placée dans l’équipement. Le pilote fait avancer la carte jusqu’à ce que le nouveau point tournant se trouve au centre de l’écran, puis presse un bouton pour introduire les coordonnées de ce point dans le calculateur. Lorsqu’il reprend le mode navigation, la position du moment apparaît de nouveau au centre de l’écran et l’instrument donne instantanément le cap à suivre pour atteindre le point tournant ainsi que toutes les autres informations nécessaires.

Le principal instrument de l’équipement de navigation du Concorde est un indicateur à carte défilante mis au point par Ferranti représenté ici avec sa boîte de commande. Sur l’écran apparaissent les informations fournies par la plate-forme inertielle et le calculateur de l’un des deux systèmes de navigation, ainsi que les données de position obtenues à l’aide d’un système hyperbolique ou au moyen du VOR et du DME.

L’affichage des informations sur l’écran est assuré par un calculateur digital qui fournit en outre des signaux de commande à l’autopilote, des données pour la navigation dans le plan vertical et diverses informations d’ordre technique (concernant par exemple l’utilisation du carburant). Des bandes perforées permettent le stockage en mémoire d’un itinéraire préétabli qui peut toutefois être modifié en vol. Le calculateur comporte d’autre part plusieurs dispositifs d’auto-vérification.

Pour l’expérimentation du nouvel équipement de navigation, les deux prototypes du Concorde seront dotés d’un poste de navigateur. Le fonctionnement du système inertiel sera contrôlé au moyen de radars au sol. Les deux appareils recevront en outre un équipement Doppler et un équipement Loran C.

Pour expérimenter cet équipement, les deux prototypes du Concorde seront dotés d’un poste de navigateur. Des radars au sol seront utilisés pour vérifier le fonctionnement du système inertiel. Les deux appareils recevront également un équipement Doppler, un équipement LORAN C et un équipement NAV/COM classique. Après la mise au point des méthodes de navigation, le poste de commande de l’un des systèmes sera installé à l’avant pour la seconde phase des essais et, en dernier lieu, les pilotes disposeront des deux postes de commande.
Lors de la mise en service du Concorde, l’unique matériel qu’il faudra emporter pour la navigation sera un coffret de films. En d’autres termes, la navigation à bord de ce nouvel appareil relativement complexe pourra être assurée pour la première fois sans les documents volumineux utilisés jusqu’ici.
Le Concorde en service.
Un des problèmes auxquels les constructeurs de Concorde ont attaché une grande importance est celui que pose le “servicing” sur les aéroports. Par exemple aux escales, le temps d’immobilisation au sol doit se réduire à 30 minutes. La plupart des points de service ont été prévus sur le côté droit de l’appareil afin que l’autre côté reste dégager pour les passagers. L’appareil est en outre étudié pour que les opérations qui font perdre le plus de temps (manutention du fret et des bagages, avitaillement, chargement des containers de cuisine, etc.) puissent se dérouler simultanément.
La soute à bagages principale occupe la partie arrière de la cabine pressurisée et est accessible par une porte ventrale. L’appareil possède en outre deux autres soutes se trouvant l’une derrière l’autre sous le plancher de la cabine, entre le longeron de l’atterrisseur avant et le premier réservoir de fuselage. Des essais effectués à l’aide d’une maquette ont montré qu’il ne faudra pas plus de vingt minutes pour charger le fret et les bagages avec les moyens mécaniques habituels. Une seule porte est prévue pour les passagers à l’avant, sur la gauche, et une porte permettant de charger aisément tous les types de containers se trouve de l’autre côté.

Pour le remplissage (ou la vidange) des réservoirs, l’appareil possède quatre orifices de type standard situés sous le fuselage juste devant le logement du train principal. La disposition de ces orifices est étudiée pour faciliter au maximum le travail du personnel au sol et pour permettre l’utilisation de tuyaux de faible longueur sur les aérodromes comportant des bouches enterrées. Un appareil dont les réservoirs ne contiennent plus que les réserves habituelles de carburant peut faire le plein en 20 minutes seulement.
Le problème que pose le bruit dans le voisinage des aéroports a fait l’objet d’une étude très approfondie pour le Concorde. Du fait de la disposition par paires des quatre réacteurs et grâce à l’emploi de silencieux efficaces, le niveau de bruit reste dans les normes au décollage et est même inférieur à celui des quadriréacteurs actuels pendant l’approche et l’atterrissage.
Pour le roulage au sol, la pointe avant de l’appareil est abaissée de 17,5°, ce qui assure aux pilotes une excellente visibilité. Au décollage, l’angle de basculement du nez est réduit à 5° et l’envol peut s’effectuer selon des procédures classiques. Comme la vitesse ascensionnelle est nettement plus élevée que celle des courriers à réaction actuels (environ 40 m/s) la montée peut s’effectuer en principe sans les paliers intermédiaires qu’exige quelquefois le trafic s’écoulant dans le sens inverse. Les répercussions que peuvent avoir, dans des circonstances exceptionnelles, le franchissement d’une courte distance (jusqu’à 800 km) à vitesse subsonique sont moins grandes sur la consommation de carburant que sur le temps cale à cale.
Les croquis ci-dessous, montrent les différentes positions de la pointe avant et de sa visière : – A – configuration pour le vol supersonique ; B – visière abaissée pour le vol subsonique ; C – pointe avant abaissée de 5° pour le décollage ; D – pointe avant abaissée de 17,5° pour l’atterrissage et le roulage au sol.

Le profil de vol typique commence par une montée en régime subsonique jusqu’à une altitude d’environ 12 000 mètres. L’appareil franchit ensuite le mur du son et continue d’accélérer en gagnant l’altitude de croisière pour atteindre Mach 2,2. Si la situation du trafic le permet, le pilote peut utiliser la méthode de la croisière ascendante qui garantit la plus grande autonomie. En revanche, le vol de croisière par paliers successifs se traduit par une légère diminution de la distance franchissable.
Avant le passage au vol supersonique, il est nécessaire de modifier le centrage pour compenser le déplacement du centre de poussée. A cet effet, du carburant est pompé des réservoirs d’équilibrage avant dans les réservoirs d’équilibrage arrière, opération qui est contrôlée par les calculateurs digitaux car la moindre traînée due à un mauvais centrage ferait augmenter sensiblement la consommation de carburant.
Un des graphiques qui accompagnent cet article montre que, pour un poids au décollage donné, les différentes vitesses de croisière n’ont pas une très grande influence sur la distance franchissable. Même lorsque le vol supersonique doit être interrompu, pour éviter par exemple des radiations cosmiques trop intenses, le Concorde est capable d’atteindre son lieu de destination en volant à Mach 0,93.

La question des réserves de carburant soulève des difficultés beaucoup plus grandes en matière d’autonomie. Une faible augmentation des réserves imposée sur l’aérodrome de destination nécessite en effet de décoller à un poids relativement beaucoup plus élevé. Par exemple pour avoir une réserve supplémentaire de 450 kilos à l’arrivée, il faut ajouter au départ 950 kilos de carburant à la quantité normalement nécessaire. Le problème devient de plus en plus ardu à mesure qu’augmente la vitesse de croisière, et cela à telle enseigne qu’à Mach 3 l’augmentation du poids au décollage atteindrait 1600 kilos. Cependant, comme les vols de Concorde sont de courte durée et permettent de ce fait d’utiliser les prévisions météorologiques à court terme, il sera sans doute possible de fixer pour les réserves de carburant un minimum raisonnable.
Lorsque le vol de croisière du Concorde prend fin, le pilote actionne à nouveau les pompes des réservoirs d’équilibrage afin d’obtenir un centrage adéquat pour le vol subsonique. Dans la zone terminale, aucune procédure spéciale n’est nécessaire. Grâce à l’indicateur cartographique, la navigation est très précise, ce qui facilite non seulement la tâche des pilotes mais aussi celle du contrôleur de la circulation aérienne.
La vitesse dans le circuit est un peu plus élevée que celle des courriers à réaction actuels (environ 460 km/h contre 370 km/h) ; toute diminution de la vitesse optimale se traduit par une plus forte consommation et nécessiterait par conséquent d’emporter davantage de carburant.

Le Concorde effectue son approche et se pose selon les procédures normales et le pilote peut utiliser le système d’atterrissage automatique. La pointe avant et la visière sont complètement abaissées, ce qui assure des conditions de visibilité aussi bonnes qu’à bord des avions de lignes actuels. Au poids maximal à l’atterrissage, la vitesse lors du franchissement du seuil de piste est de 280 km/h et la longueur de piste nécessaire est de 2400 mètres.
Avant sa mise en service, le Concorde effectuera quelques milliers d’heures d’essais dont de nombreuses heures en vol supersoniques. En vue de l’homologation dans les différents pays, les essais auront lieu dans les conditions atmosphériques les plus variées et sur les principales routes aériennes du réseau mondial.
Le carburant est utilisé à bord du Concorde pour les modifications de centrage que rend nécessaire le déplacement du centre de poussée dans les différentes phases du vol. Les transvasements s’effectuent entre les réservoirs d’équilibrage avant (A), les réservoirs principaux (B) et les réservoirs d’équilibrage arrière (C) ; 1 – transfert de A à B et C pour l’accélération transsonique ; 2 – transfert de C à A pour la décélération en secours ; 3 – transfert de C à A et B en fin de croisière ; 4 – transfert de A à B pour l’atterrissage après un vol de longue durée à vitesse subsonique.

Pour réduire le bruit, le Concorde utilise à l’envol des procédures spéciales (poids au décollage, 148.000 kilos ; conditions ISA + 11°C au niveau de la mer). Courbe supérieure : décollage à pleine puissance, puis réduction du régime pour obtenir la vitesse ascensionnelle de 2,5 m/s ; Courbe inférieure : décollage à régime réduit donnant une vitesse ascensionnelle plus faible.
Graphique indiquant la longueur de piste nécessaire lors du décollage. Au poids de 155.000 kilos et dans les conditions ISA, le Concorde a besoin d’une piste de 2 960 mètres de longueur.
Influence des réserves de carburant sur la charge payante et la distance franchissable. Les courbes sont établies en fonction des réserves de carburant exigées par deux compagnies aériennes et trois organismes officiels. Elles sont valables pour la croisière ascendante à Mach 2,2 dans les conditions ISA et par vent nul. L’écart qui existe entre les réserves de carburant adoptées par les deux compagnies se traduit par une différence de plus de 900 kilomètres entre les distances franchissables correspondantes.
Charges payantes et distances franchissables calculées pour les prototypes et les appareils de présérie. Les calculs sont fondés sur la croisière ascendante à Mach 2,2 dans les conditions ISA.
Charge payante et distance franchissable en fonction du profil de vol (réserves de carburant FAA ; conditions ISA ; vent nul).