Air & Cosmos – 14 Novembre 1970 Concorde : les premiers vols à Mach 2

Article de Jacques MORISSET

Le cent-deuxième vol de Concorde 001, effectué à partir de Toulouse le 4 novembre, a constitué pour l’avion de transport supersonique franco-britannique une étape importante et spectaculaire : celle du premier vol à Mach 2

Ce vol a duré en effet 135 minutes, dont 80 en régime supersonique. Sur ces 80 minutes, 53 ont été effectuées à Mach 2, valeur lue par André Turcat sur le machmètre, 22 minutes seulement après le décollage à 200 kilomètres de Nantes, vers 16.000 mètres d’altitude. La température extérieure était alors de – 71°C, ce qui correspond en principe à une vitesse locale du son égale à 285 m/s, et à une vitesse vraie de l’avion de 2050 km/h environ. A l’issue de ce vol, terminé à 16h45, André Turcat a déclaré que le comportement de l’avion et de ses moteurs avait été satisfaisant, en ligne droite et en virage ; au décollage, André Turcat avait simulé une panne de moteurs. La température maximale atteinte par les points les plus chauds de l’avion fut de 95°C.

Le 103ème vol, d’une durée de 160 minutes, dont 80 en régime supersonique, vit l’appareil voler 37 minutes à Mach 2. Des paliers de performances furent effectués à Mach 1,65 et Mach 2. A Mach 1,7, un moteur fut stoppé volontairement sans que soit utilisé le contre automatique (système qui permet de contrôler le mouvement de lacet induit par la dissymétrie brutale de poussée). Un moteur fut également stoppé à Mach 2.

Le 104ème vol atteignit la durée de record de 165 minutes dont 90 en régime supersonique (autre record). L’appareil avait décollé à 152 tonnes (masse record également). Une coupure volontaire du moteur n° 1 fut effectuée à Mach 1,8, sans contre automatique), puis lors du vol à Mach 2 (durée : 38 minutes, André Turcat coupa les moteurs n° 1 et 2. L’appareil se comporta très bien. A l’issue de ces 104 vols, Concorde 001 totalisait 200 heures 10 minutes de vol dont 44 heures 52 minutes en régime supersonique et 2 heures 8 minutes à Mach 2.

A noter la sportivité des Britanniques et de Brian Trubshaw, qui souhaitèrent bonne chance à André Turcat lorsque, par la suite d’ennuis mineurs répétés, il se révéla que Concorde 002 ne pourrait franchir Mach 2 le premier, comme cela avait été prévu. Le 55ème vol de Concorde 002 (4 novembre) ne dura, en effet, que 82 minutes, dont 10 en régime supersonique (Mach 1,3 atteint) et le 56ème vol (9 novembre) 70 minutes, dont 5 en régime supersonique. A l’issue de ces 160 vols, les deux appareils totalisaient 304 heures 37 minutes de vol dont 61 heures en régime supersonique

Vitesse et nombre de Mach.

A l’occasion des premiers vols Mach 2 de Concorde, il est intéressant de rappeler à quoi correspond le Mach de vol d’un avion, et sa traduction en vitesse aérodynamique, ou vitesse propre de l’avion (cette vitesse pouvant évidemment être différente de la vitesse par rapport au sol dès lors que l’atmosphère n’est pas parfaitement calme, c’est-à-dire qu’il existe une vitesse du vent).

Rappelons d’abord ce qu’est le nombre de Mach “M” d’un avion se déplaçant à la vitesse ”V“ : c’est tout simplement le rapport entre cette vitesse ”V » et la célérité locale du son, c’est-à-dire la vitesse de propagation d’une pression, dénommée plus généralement vitesse du son. On a donc M = V/a.

La vitesse “a3” n’est pas constante : elle varie au contraire fortement avec la température (mais ne dépend pas de la pression). Comme la température de l’air varie elle-même fortement avec l’altitude, la vitesse du son ne sera donc pas la même au voisinage du sol et en altitude.

C’est ainsi qu’en atmosphère standard la température au niveau de la mer (Z = 0) est de 15°C, et la vitesse du son est alors de 340,29 m/s. Mach 1 est donc égal à cette vitesse, soit 1233 km/h. Mais à 10 kilomètres d’altitude, toujours en atmosphère standard, la température s’est abaissée à – 49,9°C ; la vitesse locale du son est alors de 299,53 m/s. Mach 1 correspond donc à 1080 km/h.
Signalons en passant que pour Mach 1 = 100 km/h, c’est-à-dire que la vitesse du son ne soit plus que de 278 m/s, il est nécessaire de rencontrer une température d’environ – 77°C, ce qui correspondrait à une altitude de 73 kilomètres. Les assertions, qu’on rencontre encore trop souvent, du genre Mach 2 = 2000 km/h sont donc complètement fantaisistes.

Revenons à l’atmosphère standard. Le modèle utilisé en France est identique à celui défini par le document US Stanrd Atmosphère 1962 ; en définition repose évidemment sur un certain nombre de conventions. Il nous suffit simplement de savoir :
– entre 0 et 11.000 mètres, la température varie linéairement depuis le sol (15°C) de – 6,5° par 1000 mètres.
C’est la troposphère.

– de 11.000 à 20.000 mètres (stratosphère), la température est constante et égale à 58,5°C. La vitesse du son y est alors égale à 295,07 m/s, toujours par définition.
– de 200.000 à 32.000 mètres (c’est le début de la mésosphère), la température standard remonte, à raison de 1°C par 1000 mètres. La vitesse du son en fait autant et revient ainsi linéairement à 303,13 m/s.

Bien entendu, lorsque le pilote lit sur son altimètre une altitude, il lit en réalité une pression puisque l’altimètre est un baromètre gradué en altitude, selon une loi qui est précisément celle de ‘atmosphère standard. La grandeur ainsi mesurée s’appelle “altitude-pression”: elle n’est égale à l’altitude réelle que dans le cas très peu probable où l’atmosphère est standard. Il en est de même pour la température (notion d’altitude-température). Les écarts peuvent être assez sensibles.

Enfin, le pilote lit sur anémomètre (de type tube Pilot) une vitesse, dite ”Vi » (Vitesse indiquée). Cet anémomètre mesure en réalité une pression différentielle, c’est-à-dire la différence qui dépend elle-même de la vitesse ”V“, mais aussi de la température et de la pression de l’air. On gradue alors l’anémomètre en unités de vitesse selon une loi calculée pour les pressions et températures régnant au sol en atmosphère standard : ainsi obtient-on une vitesse conventionnelle “Vc” (égale à ”Vi » aux erreurs de mesure près) qui n’est égale à la vitesse vraie ”V“ que dans les conditions de pression et de température égales à celles qui règlent au sol en atmosphère standard. Dès qu’on s’élève en altitude, la pression et la température s’abaissent, et la vitesse réelle ”V » est supérieure à la vitesse conventionnelle “Vc“, elle-même très proche de ”Vi”.

On peut évidemment se demander pourquoi donner au pilote une “Vi proche de “Vc », mais très différente de la vitesse réelle “V » dès que l’altitude est importante. A 10.000 mètres, par exemple, en atmosphère standard le pilote lira Vi = 600 noeuds (1110 km/h), or sa vitesse aérodynamique vraie sera de 1690 km/h (et le nombre de Mach égal à 1,56).

La réponse est simple : l’anémomètre n’est pas un instrument de navigation, mais un instrument de pilotage ; car en mesurant une différence de pression, il mesure aussi les charges aérodynamiques, sur la structure, qui sont proportionnelles à cette différence de pression. Ainsi l’anémomètre permit-il en réalité de limiter le domaine de vol de l’avion vers des basses vitesses (limites de décrochages) et vers les grandes vitesses (charges aérodynamique maximale que la structure est capable de supporter, une autre limitation importante étant celle du nombre de Mach).

Revenons à Concorde : Comme pour tous les avions supersoniques, le lecteur pourra se faire une idée, approximative, de la vitesse aérodynamique vraie de l’avion en utilisant un abaque classique, celui de Chevalier, qui donne en atmosphère standard, par lecture directe, la vitesse “V” en fonction de l’altitude de vol et du nombre de Mach ou de “Vc”.

Sur cet abaque, deux réseaux de courbes sont tracés : l’un est celui des courbes iso-Mach, l’autre celui des courbes Iso-Vc (c’est-à-dire des courbes iso-pression dynamique) en ordonnées, sont portées les altitudes “Z » exprimées en km et, par conséquent, les températures (standard) ; en abscisses, les vitesses, exprimées en noeuds (kt), m/s et Km/h.

En atmosphère non standard, ce même abaque permet de retrouver la vitesse “V” ; les valeurs lues sont en effet “Vc », la température réelle et l’altitude de pression “Zo”. L’intersection de l’horizontale correspondant à cette altitude avec l’iso-Vc donne le nombre de Mach (relation indépendante de la température). L’intersection de ‘horizontale correspondant à la température mesurée avec l’iso-Mach qui vient déterminée donne “V ».