Air & Cosmos – 11 Mai 1968 : Concorde pourrait voler en septembre

Le 1er mai 1968, Sir George Ewards, Président Général du Comité Directeur Concorde (avion) et Directeur Général de la British Aircraft Corporation, a prononcé à New York, devant les membres de la ”Society of Automotive Engineers », une conférence au cours de laquelle il a déclaré en substance à propos du premier vol de Concorde :
Lorsque j’ai pris la parole l’an dernier devant l’Aéroclub de Washington, j’ai fait allusion aux critiques injustifiées qui nous ont été faites et qui avaient pour origine la trop grande publicité faite autour de la date du premier vol. J’avais alors prédit que l’échéance de l’été prochain était plus vraisemblable.
Depuis lors, le premier prototype est sorti d’usine. Mais, ce qui est le plus important, le programme des essais, aux bancs comme sur les deux prototypes, a progressé de façon satisfaisante. Les essais de structures nécessaires en vue d’autoriser l’appareil à effectuer son premier vol sont terminés, et les essais de fatigue, d’échauffement et de refroidissement rapide, et de fluage pour les structures et les systèmes sont en bonne voie. Ces derniers, bien entendu, se poursuivront encore durant des années. Le banc d’essais du système d’alimentation en carburant a maintenant permis d’autoriser le vol supersonique, et le travail à effectuer sur le banc d’essai du système hydraulique et des commandes de vol sera terminé le mois prochain. Déjà les vérifications du fonctionnement du train d’atterrissage, de la génération électrique, du mécanisme de nez basculant et de visière, les systèmes d’aérofreins, ainsi que des essais partiels sur les autres systèmes sont pratiquement terminés et devrait l’être totalement dès le mois prochain.

En ce qui concerne les essais sur le prototype, le 001 construit à Toulouse a reçu deux moteurs qui ont été installés du même côté, et essayés jusqu’à 97% de leur puissance maximum. On a également procédé à des essais sur les problèmes afférant à l’installation motrice : problème de ventilation, utilisation partielle des inverseurs de poussée et génération électrique.
Faire tourner des moteurs à un stade aussi précoce du programme a pu sembler surprenant, mais cette politique s’est révélée payante. Il s’agit là d’une installation motrice très compacte et difficile à dessiner et j’ai été bien soulagé d’apprendre que les résultats de ces essais au sol très poussés n’appelaient que des modifications mineures ; à mon avis, nous avons fait un important pas en avant dans le cycle de développement de l’appareil.
Des essais de vibrations au sol ont été effectués sur le prototype 001, et une modification relativement légère sur le gouvernail s’est avérée nécessaire ; au cours des semaines passées, elle a été réalisée, essayée à nouveau et enfin reconnue efficace. Nous sommes maintenant autorisés à voler en ce concerne le « flutter”.
Le fuselage du prototype 001 a été soumis à une surpression de l’atmosphère. Ceci a entraîné les inévitables petites duites autour des ouvertures, mais rien auquel il ne soit facile de remédier. En ce qui concerne le fonctionnement des issues de secours, tout s’est bien passé.

Décalage réduit.

Le prototype 002, dont l’assemblage est effectué en Grande-Bretagne, devait, selon son programme, six mois après le 001. Mais l’expérience acquise au cours de la construction de l’appareil 001, assemblé en France, ainsi que les résultats des essais intensifs appliqués à cet appareil, nous ont fait gagner du temps. C’est ainsi qu’il nous a été possible de réduire le décalage entre la construction, l’installation et les essais.
Le prototype 002 arrive également à la phase durant laquelle il pourra être remis au pilote d’essai, et il ne se trouve pas bien loin derrière son homologue français. Les ”mini points fixes » effectués en France, en février, nous ont permis d’inscrire au programme les premiers moteurs comme moteurs de vol, avec les avantages en gain de temps qui en découlent.
Quelques moteurs de vol ont été déjà livrés et la totalité se trouvera à pied d’oeuvre auprès des cellules correspondantes dans quelques semaines.
On s’est bien entendu livré à des nombreuses spéculations à propos de la date du premier vol de Concorde, et même à propos de l’avion désigné, parmi les deux prototypes, pour effectuer ce vol. Certains commentateurs ont fait l’enjeu d’une course ou mettent en cause l’amour propre national de la France et la Grande-Bretagne. La part faite au sentiment et au romanesque est en vérité bien moindre. Les hommes qui dirigent la réalisation de Concorde – et je parle ici au nom de mes collègues français, et avec leur assentiment – ne font intervenir au sujet de ce premier vol qu’un seul et unique critère : celui de savoir ce qui sera le plus profitable à la réalisation du programme Concorde dans son assemble. La décision, quelle que soit, ne fera intervenir que des facteurs d’ordre technique, et sera prise conjointement, après un examen détaillé des calendriers respectifs, des charges de travail, des états d’avancement et de tous les autres paramètres compliqués qui commandent la préparation de prototypes avancés.
Nous savons très clairement ce que nous voulons. Nous voulons que Concorde entre dès que possible en service dans les compagnies aériennes dans les meilleures conditions de sécurité et de fiabilité ; tout notre planning global en découle. Pour un programme d’essais en vol qui s’étendra sur au moins 4500 heures, les deux premiers appareils devront, dès leur premier vol, être équipés de façon à apporter une contribution réelle à ce programme.

Ceci étant bien établi, il ne faut pas oublier que la moitié de chaque avion est française et que l’autre est britannique, de sorte que la fierté à retire du succès se partagera également entre deux pays. Nous sommes opposés à toute idée de faire flotter séparément nos drapeaux nationaux : ce qui ne pourrait être de gens n’ayant aucune responsabilité dans le succès de l’ensemble du projet et qui n’ont aucune idée de ce que signifie réellement un programme conjoint.

A quand de premier vol ?

En réalité, les deux prototypes doivent, suivant le programme, être livrés aux essais en vol en août. Pour autant que nous puissions en juger aujourd’hui les avions y resteront entre 40 et 80 jours environ. S’il se produit, à ce stade, un certain degré de compétition locale entre les deux d’homme faisant le même travail, ce n’est qu’humain. Cela contribuera à accélérer l’avancement des deux avions, ce qui pourra être bénéfique.
Le fait que le programme du prototype 002 lui permet de passer aux essais en vol au cours du même mois que le 001 n’est devenu possible que grâce à tout ce que les français ont déjà fait sur le 001 et sur les bancs d’essais associés. En particulier, excellente réussite du programme de point fixe moteur a éliminé des risques qui auraient pu affecter le programme.
Honnêtement je suis soulagé de savoir que les premiers vols des deux prototypes ne seront séparés que par un laps de temps relativement court. En effet, il est très avantageux de pouvoir recouper les résultats obtenus et d’assurer la continuité des vols, ce qui n’est pas possible avec un seul appareil.

Le C.D.N, en 1971…

La délivrance du Certificat de Navigabilité de Concorde est prévue pour le troisième trimestre de 1971. Elle représentera l’aboutissement de 3 années d’essais en vols intensifs auxquels auront participé sept avions cumulant 4165 heures de vol.
Les appareils intéressés sont les deux prototypes, deux avions de présérie et trois avions de série. En outre, il sera encore nécessaire d’effectuer 210 heures supplémentaires d’essais avec les avions de série en vue de la certification des systèmes d’atterrissage automatique et de la détermination des performances sur les aéroports situés à des altitudes élevées. 30.000 heures d’essais de fonctionnement du réacteur Olympus 593 de 15.900 kgp viendront épauler ce programme.
Les deux prototypes seront utilisés exclusivement pour établir les caractéristiques de Concorde. L’un des deux servira à l’exploration du domaine conditionné par les essais de vibrations un vol (flutter), sous excitations forcées, seule méthode permettant la croissance du nombre de Mach, et qui doit être appliqué par paliers. L’autre appareil servira pour l’étude des qualités de vol et pour les essais des réacteurs. Les deux avions de présérie seront utilisés pour la mise au point des systèmes essentiels et le premier avion de série viendra se joindre à eux pour les vols de certification. Le deuxième et troisième appareil de série seront employés pour les essais de mise en service sur les lignes aériennes.

A cause du bond qui a été fait dans le domaine technique, le nombre de paramètres qu’il faut mesurer est de 4 à 5 fois plus grand pour Concorde que pour un appareil subsoniques de dimensions semblables. 3000 paramètres ont déjà été définis, et davantage le seront certainement au cours des essais. Un traitement rapide et automatique de l’information est employé pour recueillir cette quantité considérable de données. Chaque prototype emporte 12 tonnes d’équipements d’essais, dont la moitié est répartie dans les meubles qui occupent complètement la cabine. Certains paramètres vitaux seront enregistrés en double pour des raisons de sécurité. D’autres, tels que ceux concernant le fonctionnement du train d’atterrissage et de la visière seront seulement enregistrés pendant des périodes limitées.
Les vols supersoniques prolongés auront lieu principalement sur une route s’étendant sur l’Atlantique, entre Dakar et l’île de Man, et s’effectueront sous surveillance radar. La Base d’Istres assurera les mesures du bang sonique, grâce aux équipements déjà en place pour les essais du Mirage IV. En moins d’une heure après l’atterrissage la première analyse devrait être disponible sous forme de tableaux et graphiques imprimés et l’utilisation de matériels identiques de traitement des données à Toulouse et Filton assureront un échange rapide des informations.

Il est vrai que l’échéancier que nous avions établi il y a quatre ans n’a pas été rigoureusement suivi, mais je tiens à faire remarquer que nous le serons de bien plus près que dans la plupart des programmes comparables, concernant des appareils moins évolués.

Pour une coopération Europe-Etats-Unis ?

Sir George Edwards a également déclaré : Si l’on considère la perspective générale de l’avion de transport supersonique américain et des dépenses qui y sont associées, ainsi que des problèmes techniques posés par sa production, il se pourrait bien qu’un programme conjoint de fabrication soit établi en Europe et aux Etats-Unis au bénéfice aussi bien des constructeurs que des compagnies aériennes. A une date ultérieure, lorsque l’avion de transport supersonique américain apparaîtra à plus long terme, des accords réciproques qui pourraient être adoptés pour que cet avion soit construit en Europe me paraitraient également raisonnables.
Sir George a précisé que ses remarques n’avaient pas un caractère officiel et qu’il ne se faisait pas l’avocat de l’abandon d’une politique de concurrence qui s’est développée avec tant de succès mais non sans peine dans les industries de la construction aussi bien que dans celle du transport
« Je soutiens seulement, a-t-il conclu, que le monde libre a besoin d’examiner les vertus d’activités en coopération avant de se mettre automatiquement en opposition par des projets concurrentiels et par les énormes dépenses qui en résultent”.


M. Pierre Messmer, Ministre des Armées, a visité le 24 avril près de Moscou l’atelier « prototypes” du Tupolev : sur cette photographie, on distingue au premier plan, le prototype du triréacteur Tu-154 et au second plan, le quadriréacteur supersonique Tu-144 ; la légende accompagnant cette photographie diffusée pour la première fois par l’Agence TASS, ne permet pas de savoir s’il s’agit d’une maquette grandeur, ou du prototype de vol. A divers indices, nous pensons cependant qu’il s’agit bien de ce dernier.

A Filton, la construction du premier ”Concorde » de présérie (01) a commencé : cinq tronçons majeurs de l’appareil ont déjà été livrés par les usines Sud Aviation de Toulouse, Marseille-Marignane, Nantes-Bouguenais et Saint-Nazaire. On distingue sur cette photographie, au premier plan, Concorde 01 et, au second plan, le prototype 002 ; celui-ci volera dès l’automne prochain, probablement immédiatement après le prototype 001 qui poursuit à Toulouse sa mise au point au sol.