Extrait de l’éditorial de Jean LASSERE

Pourquoi le projet ”CONCORDE » devait être sauvé ? C’est ce que nous avons demandé à Robert VERGNAUD, Directeur des Transports Aériens. Etait-ce pour conserver à notre industrie son potentiel ? Etait-ce pour concrétiser la collaboration franco-britannique ? Est-il important de gagner cinq heures sur le trajet Paris-New York ?
Robert VERGNAUD répond avec lucidité à toutes ces questions. D’autre part, BO K.O. LUNDBERG, Directeur de l’Institut Aéronautique de Suède, quelques pages plus loin, s’écrit : « Le supersonique devrait être stoppé !
ICARE, Revue des Pilotes de Ligne, n’a pas craint d’interroger deux personnalités dont les opinions sont aussi opposées. L’objectivité a toujours été notre ligne de conduite, et chacun dans nos colonnes peut s’exprimer selon ses convictions et sa philosophie.
Dans notre précédent numéro, W.A MASLAND prévoyait, après l’avènement du transport supersonique, de nouvelles difficultés d’écoulement du trafic aérien. BO K.O. LUNDBERG, lui, pose le problème d’une minorité à ses yeux privilégiée, dont le caprice, selon lui, risque de nuire à la population du globe tout entière. Si on n’arrête pas le progrès, il faut reconnaître que beaucoup de questions posées par BO K.O. LUNDBERG appellent des réponses difficiles, et il faut bien avouer ici, que poser le problème, ce n’est pas le résoudre. Affaire à suivre pour l’horizon 70….

Dossier de Robert VERGNAUD – Directeur des transports Aériens

Pourquoi le projet ”CONCORDE » devait être sauvé

Un matin d’octobre 1964, peu de jours après les élections britanniques, les français lurent avec surprise dans leurs journaux, qu’un des premiers gestes du nouveau Cabinet de Sa Majesté, inquiet de la situation de la livre sterling, serait d’abandonner la construction de l’avion ”CONCORDE ». A Vrai dire la presse qui n’avait eu qu’une connaissance très vague du message de M. Wilson à M. Pompidou, avait donné à l’évènement une présentation propre à frapper les esprits, au détriment de la stricte vérité. Sans dévoiler le secret des textes, on eut rappelé, maintenant que le calme est revenu, M. Wilson exprimait d’abord, quelques-unes de ses inquiétudes et suggérait un nouvel examen en commun de l’assemble du projet mais on ne trahit certainement pas sa pensée en devançant qu’i souhaitait que son collègue français rejoignit sa manière de voir pour conclure, sinon à un abandon, à tout le moins à un large étalement du programme dans le temps, voire à sa réduction à la première phase, dite des prototypes.

Or, une double constatation doit être faite : d’abord l’annonce de cette possible défection prit très vite dans l’opinion publique une importance assez inattendue ; on peut penser que seuls les compagnies aériennes et quelques groupes de techniciens ou de fonctionnaires porteraient attention à l’affaire. Il n’en fut rien : de la campagne à la ville, dans l’usine ou dans le lycée, la nouvelle fit grand bruit et donna lieu à des commentaires de tous ordres. Ensuite les réactions ne s’’élevèrent guère dans le sens qu’aurait pu espérer sinon prévoir le gouvernement travailliste : ce n’est pas une onde de soulagement qui parcourut le peuple britannique, pour ne pas parler des Français, mais comme un regret, et surtout une réprobation. Les travailleurs intéressés, eux, passèrent à la manifestation.
Confusément, l’opinion publique avait senti l’ampleur de l’abdication et en avait mesuré les conséquences. Mais c’étaient là, des réactions primaires, dont ne pourraient se satisfaire ceux qui avaient la responsabilité du projet, donc de l’engagement des crédits. La tempête fut pour eux l’occasion d’un singulier examen de conscience.

Puisque la possibilité s’offrait, sans qu’ils puissent être tenus pour responsable direct, d’arrêter une opération dont le coût était indéniable, ne fallait-il pas en profiter ? Les hésitations des Ministres britanniques n’étaient-elles pas fondées ? Et l’enthousiasme avec lequel on avait jusque-là mené l’affaire, du côté des constructeurs et des fonctionnaires tant anglais que français, ne nous avait-il pas d’une certaine manière aveuglée ? Enfin, et même si les craintes d’ordre technique ou économique avancées par le Premier britannique se révélaient à nouvel
examen injustifiées, qu’apporterait vraiment à nos deux pays de poursuite de cette aventure que d’aucuns nommaient de « prestige” ? La raison ne commandait-elle pas de ramener nos ambitions à la mesure de nos pays et de nos ressources financières, et de laisser à d’autres, aux possibilités plus larges, le soin de conduite à bien des grandes entreprises ?
Telles sont les questions qui ne quittèrent pas nos esprits entre le 24 octobre 1964 et le 18 janvier 1965. Certes, elles y avaient été toujours présentes, mais sous une forme bien différente : nous avions reçu des deux gouvernements, instruction de suivre et de contrôler le développement de l’opération « CONCORDE”, dans le sens de l’efficacité, de la sécurité et de l’économie ; aujourd’hui on remettait en cause l’objet même de nos sollicitudes et l’on consultait ces mêmes techniciens et ces mêmes fonctionnaires sur leurs scrupules les plus profonds.

C’est le point de départ des nombreuses notes qui furent alors élaborées pour les gouvernements, des réunions interministérielles et des entretiens franco-britanniques qui suivirent.
On sait que le gouvernement Travailliste, à l’issue de ces études approfondies, a finalement pris la décision, en respect de l’accord de coopération internationale du 29 novembre 1962, de poursuivre sans modification, la réalisation en commun du projet. Outre la détermination individuelle de la France, c’est donc que des arguments extrêmement sérieux avaient joué dans un sens favorable. De fait, on se rend compte, lorsqu’on en dresse la liste, qu’un abandon du programme aurait eu, au regard des perspectives de réussite qu’il ouvre, des conséquences inacceptables pour les industries aéronautiques, et de façon plus large, pour les potentiels techniques et technologiques des deux pays intéressés

Un gros employeur

En France, CONCORDE fournira directement du travail, au moment de la fabrication en série, à environ 12.000 personnes. Encore ne s’agit-il ici que de la charge des seules sociétés Sud Aviation et SNECMA. Il conviendrait d’ajouter à ce chiffre, déjà élevé, le total des effectifs, soit environ 3000 personnes qui sont ou seront employées chez les fournisseurs et les sous-traitants de ces deux sociétés.
On voit ainsi combien lourdes auraient été les incidences sociales d’un arrêt de l’opération supersonique ; une partie de ces personnes aurait sans doute dû être licenciée. Aussi bien des solutions de rechange à des projets de cette ampleur ne s’improvisent-elles pas ; elles demandent, pour être mise en place, d’importants délais. L’enchaînement nécessaire des diverses opérations d’études, de construction de prototypes, d’essais puis de production proprement dite, interdit que des transferts importants de main-d’oeuvre d’un programme à un autre puissent s’effectuer instantanément. Parce que les réalisations ont ce caractère cyclique, un coup très dur aurait été porté à terme à notre industrie aéronautique. Industrie de pointe, elle consacre presque le tiers de son activité aux études techniques et à la mise au point. Elle utilise un personnel très hautement qualifié : 12% de ses effectifs sont des ingénieurs et des techniciens, 80% de ses ouvriers sont des ouvriers professionnels. Comment aurait-on pu envisager de disperser momentanément les bureaux d’études ou s’est amassé peu à peu, et au prix de combien d’efforts, une telle qualité de matière grise ? Dissoudre pour un temps des équipes de techniciens et d’ouvriers lentement formées ? Il aurait été très difficile sinon impossible de reconstituer, après des années de creux des plans de charge qui n’auraient pas manqué de suivre la décision d’abandon, ce capital humain de premier rang.

Les effets auraient été d’autant plus ressentis, au-delà de la seule situation de l’industrie aéronautique, que la charge de travail procurée par l’opération ”CONCORDE » intéressera des régions économiques par ailleurs peu industrialisées. La décentralisation qui apparaît aujourd’hui comme la condition de développement harmonieux de notre économie est, en matière de construction aéronautique, une réalité déjà ancienne : 40% des effectifs de l’ensemble de la profession travaillent dans des usines de province, essaimées dans différentes parties du territoire national et en particulier dans l’Ouest et le Sud-Ouest. Cela signifie que toute diminution de quelque importance dans le plan de charge de l’industrie aéronautique est susceptible, quelle que soit son origine, de provoquer une crise sérieuse de sous-emploi dans certaines villes et régions, dont on s’accorde à reconnaitre qu’elles doivent bénéficier d’actions de développement, et où le Gouvernement s’attache précisément à encourager la croissance industrielle.

Pour sérieux que puisse être ces arguments, ils n’auraient cependant pas suffit à empêcher un abandon – peut-être dramatique du projet, si celui-ci s’était avéré techniquement irréaliste ou sans intérêt économique propre.
Mais tel n’est pas le cas. Comme dans toute opération de quelque envergure, des risques existent que l’on ne saurait oublier, mais je reste plus que jamais persuadé que les chances d réussite font que ces risques méritent d’être acceptés. Une opération saine
Du point de vue technique, les inquiétudes que l’on pourrait ressentir au début des études sont aujourd’hui apaisées. Faut-il rappeler que ces inquiétudes portaient sur la possibilité pour « CONCORDE” de joindre, en toutes saisons et avec une charge marchande acceptable, Londres ou Paris à New York ? C’était là une vision nouvelle car, à l’origine, les français au moins n’avaient envisagé de construire qu’un appareil moyen—courrier ; cette première conversion n’était pas allée, sans peine, le passage à une formule économiquement rentable ayant accru les difficultés.

C’est au cours de l’année 1964 que les que les techniciens sont parvenus à une solution satisfaisante et ont soumis aux deux gouvernements, en mai dernier, une définition assez proche pour que la construction des prototypes soit lancée. L’augmentation à 148 tonnes du poids maximum au décollage a été accompagnée d’un accroissement de l’ordre de 10% de la poussée des réacteurs et de 15% de la surface de la voilure. Depuis maintenant plusieurs mois, les ateliers de Sud Aviation en France, et de la British Aircraft Corporation en Grande-Bretagne, ont commencé à couper le métal pour la fabrication des prototypes. Le premier d’entre eux doit voler en France en début 1968.” CONCORDE », dans sa première version opérationnelle ainsi définie, sera capable d’emporter quelques 120 passagers sur Paris-New York dans des conditions d’utilisation les plus sévères.
Là ne s’arrêtera sa carrière, car les phases ultérieures de développement, possibles et déjà envisagées, assureront à cet appareil, soit des rayons d’action beaucoup plus étendus, soit des charges marchandes nettement supérieures. Ceux qui croyaient voir en CONCORDE la fin d’une race ont donc toutes les chances de s’être trompés : comme les BOEING et les DOUGLAS actuels ont déjà connu plusieurs générations, CONCORDE est susceptible de développer ses performances pour le plus grand bénéfice des transporteurs, mais aussi des transportés.

Certes, de nombreuses difficultés restent encore à résoudre. On a beaucoup entendu parler, ces derniers temps, des inconnues de transport supersonique. Les problèmes liés à l’échauffement de la cellule en raison de la grande vitesse ont nécessité des essais qui ont permis de mieux connaître les possibilités de résistance à la fatigue et aux hautes températures des alliages légers qui composeront les surfaces de revêtement et qui, jusqu’à présent, n’avaient été utilisés que pour les pièces forgées de réacteurs et d’avions. Ce n’est pas là un mince progrès. La mise au point des procédés de réfrigération de la cabine et des réservoirs se poursuit. L’équilibre optimum entre les exigences du vol à vitesse relativement basses dans les phases de décollage, de montée et d’atterrissage, et celles du vol en croisière supersonique a été défini.
Nous avons toujours gardé, depuis que le projet est lancé, un sage équilibre entre les risques techniques et le volume des engagements financiers. Ces derniers étaient au début de l’opération très faible puisqu’ils correspondaient simplement à des crédits d’études et à la mise en place d’une organisation assez légère dont la souplesse explique pour une part l’avance dont nous bénéficions aujourd’hui. En revanche, tous les problèmes techniques ou presque restaient à résoudre. Le financement de la construction des prototypes demandent aujourd’hui des sommes importantes. Mais la situation, du point de vue technique, est autrement favorable qu’elle ne l’était il y a deux ans et demi, et les risques sont moindres. On voit ainsi, que de manière très raisonnable, les engagements financiers ont augmentés et continuent d’augmenter au même rythme que la probabilité de réussite. La qualité des équipes d’études, les connaissances technologiques accumulées, les progrès réalisés et la valeur des équipements de recherche, autorisent le ferme espoir que cette aventure technique de qualité finira bien.

Une économie d’exploitation équilibrée

Reste bien sûr, à examiner quel intérêt à examiner quel intérêt le produit final présentera pour les compagnies de transport qui auront à le mettre en oeuvre. Les arguments avancés par ceux qui soutiennent que CONCORDE ne sera pas exploitable dans des conditions économiques satisfaisantes sont de deux ordres. Les uns estiment que le transport supersonique, en soi et quelle que soit sa nationalité d’origine, ne saurait trouver sa cohérence et son efficacité propres ; pour eux l’avenir appartient pour longtemps encore au subsonique. D’autres, moins entiers dans leurs opinions, se contentent de mettre en relief l’élément de concurrence important que
représenterait le projet américain d’un appareil volant à Mach 3, de capacité supérieure puisqu’il est dessiné pour emporter environ 200 passagers sur les étapes transatlantiques.

Le premier point est de principe et mérite une réponse attentive. Il me parait que les tenants du transport subsonique négligent l’influence, sur les relations politiques, économiques et touristiques entre pays éloignés, d’une réduction de moitié des temps de vol. L’accélération des échanges humains qu’amènera la mise en service du CONCORDE signifiera pour les compagnies un accroissement de leur trafic. Mais elle signifiera pour les humains une possibilité accrue des contacts directs, qui ne se traduit pas par des chiffres. J’ai eu l’occasion d’écrire par ailleurs les avantages qui me parait comporter ce progrès, qui dépasse singulièrement l’intérêt direct des transporteurs.
Le choix devant lequel nous étions placés n’était pas de décider si l’avion supersonique existerait ou non, puisque nous savons que les Américains et les Russes travaillent à son avènement ; il s’agissait pour nous de savoir si l’Europe participerait ou non à cette ère nouvelle, c’est-à-dire si elle serait fournisseur ou client.

Quant aux dépenses globales entraînées par d’’exploitation s’une flotte d’avions CONCORDE, les résultats de nos calculs prévisionnels indiquent qu’elles ne seront pas plus élevées que celles d’un ensemble correspondant d’avions subsoniques. Il faut à c’est égard noter que l’on procède à des comparaisons de prix de revient d’exploitation en appliquant des formules empiriques dont les coefficients ont été obtenus après compilation statistique des résultats des compagnies. Ce faisant, les hypothèses que l’on adopte pour la mise en oeuvre de CONCORDE sont établies d’après les conditions actuelles d’utilisation des subsoniques, conditions certainement très éloignées de celles qui correspondront à la meilleure utilisation du supersonique. Ce n’est pas le moment d’apprécier le danger que la fabrication d’un appareil américain plus rapide pourra faire courir à l’avion franco-britannique : d’abord parce qu’aucune décision officielle n’a encore été prise du côté des Etats-Unis quant au principe même de cette construction ; ensuite parce qu’il n’est pas prouvé qu’un avion à haute capacité, dont le prix d’achat sera vraisemblablement le double de celui du CONCORDE, et dont le rayon d’action prévisible à ce jour ne dépasse guère que de 400 km celui que nous avons choisi, soit un concurrent aussi redoutable que certains veulent bien la dire. J’ajoute que sur l’étape type Paris-New York, le gain de temps apporté par un avion qui, au lieu de Mach 2,2 doit voler dans sa première phase à Mach 2,7, et plus tard à Mach 3, n’est pas suffisant à mon sens pour monopoliser le marché.

Le seul point qui me paraisse acquis, est que l’avion supersonique règnera très vite en maître sur les longues distances. Pourquoi, alors que nous sommes aujourd’hui très bien placés, et en avance sur nos concurrents, leur laisser l’entier bénéfice d’une opération qui engage tout l’avenir de l’industrie aéronautique ?

Précéder ou disparaître

Et d’abord, pas plus que nous n’avons le choix entre le transport supersonique et le transport subsonique, la Grande-Bretagne et la France ne peuvent choisir la passivité si leur intention est de conserver une industrie aéronautique. Nos seuls rivaux importants dans ce domaine sont aujourd’hui les Etats Unis ; aucun autre pays européen n’a atteint notre degré de développement. Quant à la Grande-Bretagne, elle a fort bien compris que son intérêt était de faire de la France un partenaire, et non un adversaire. C’est cette prise de conscience relativement récente, qui explique la multiplication des contacts entre responsables de cette industrie de pointe dans les deux pays.
Si donc, à la demande d’un des deux, le projet ”CONCORDE », avait été abandonné, le seul recours eut été de se rabattre sur la production des avions de taille moyenne, d’une technique relativement peu évoluée et d’une vente rendue difficile par la présence sur le marché international des constructeurs géants américains. A-t-on d’ailleurs réfléchi à la réaction des clients potentiels du monde entier devant le retrait des seuls constructeurs européens qui s’opposent sont encore au monopole de la production américaine ? Beaucoup d’entre eux auraient conclu que si la Grande-Bretagne et la France renonçaient à construire cet avion prestigieux décrit par la presse, techniquement ou industriellement incapable de résoudre les problèmes qu’elle s’était posée. Du même coup, ce ne sont pas seulement les exportations de l’industrie aéronautique britannique et française qui eussent pâti, mais bien d’autres productions, atteintes elles aussi par cette perte de prestige.

Il faut encore dire que pour mener à bien le CONCORDE, une industrie nationale des équipements va se développer. Des sociétés françaises se sont courageusement lancées dans des études nécessaires et conquerront, par la référence que leur apportera CONCORDE, une clientèle internationale. Les progrès de
l’industrie aéronautique provoque par la rigueur de es exigences bénéficient d’ailleurs à l’ensemble de l’industrie française. Ils suscitent des applications très diverses qui sont, à leur tour, le point de départ d’autres recherches et d’autres découvertes, et exercent ainsi un indéniable effet d’entraînement.
L’industrie aéronautique de notre pays n’est donc pas seule en cause, mais celle de l’Europe. Qu’il soit permis à un des responsables de cette vaste entreprise de témoigner que la coopération internationale était non seulement possible, mais beaucoup plus aisée à établir que d’aucuns le pensaient. A cet égard encore, CONCORDE est une innovation donc les effets heureux ne peuvent être mis en doute.
Les quelques réflexions qui précèdent, me paraissent montrer à l’évidence que la décision finale ne pouvait être autre que ce qu’elle fait. OEuvre de la collaboration franco-britannique, projet ambitieux certes, mais aux larges perspectives de réussite ; investissement scientifique et technique dont nous recueillerons bientôt les fruits, symbole de la vitalité technologique de l’industrie européenne, CONCORDE devait être sauvé.

La recherche aérodynamique et l’avion de demain

« A moins de 15 ans de distance, vous avez pu lire deux dépêches dans votre journal habituel :
Octobre 1947 :
”Charles YAEGER a atteint la vitesse de 1130 km/h à bord de l’avion-fusée BELL X-1 après avoir franchi pour la première fois le mur du son”.
Avril 1961 :
”Youri GAGARINE, à bord du premier satellite habité, vient d’effectuer le tour de la Terre en 89 minutes, à 28.500 km/ heure ».
Sans vous rendre compte peut être que vous étiez témoin d’une révolution scientifique et humaine extraordinaire.
A l’aube d’une ère nouvelle qui verra le développement pratique de véhicules volant entre zéro et 40.000 km/h, il semble intéressant de se pencher sur l’avenir immédiat, en distinguant les vitesses qui nous intéressent directement à titre de passager et celles dont nous seront seulement témoins.
Ainsi, dans moins de dix ans, nous pourrons traverser l’Atlantique à plus de 2000 km/h à bord d’un avion de transport supersonique, tandis que nous assisterons seulement aux premières explorations lunaires devant un poste de télévision.

Dans le cadre de cette revue nous nous limiterons à l’aspect technique de la vitesse tel que le voit l’Aérodynamicien, et plus particulièrement à l’étroit domaine compris entre zéro et 3000 km/h environ, qui intéresse le passager de demain, mais auparavant, il semble nécessaire que ce domaine représente une très faible étendue de notre savoir-faire, en vol ou en laboratoire.

Cette vitesse qui nous entoure

La vitesse a d’abord été, de tout temps, une arme de guerre, permettant à la fois l’attaque et la fuite aux moindres frais ; 50 ans n’a fait qu’accélérer la suprématie de la vitesse dans le combat, ceci est particulièrement vrai aujourd’hui, à l’ère des fusées balistiques à tête nucléaire et ont doit d’ailleurs constater que le progrès des Sciences Aérodynamiques et Spatiale a été en grande partie dû au développement des recherches militaires, ainsi le « super-jet” qui nous permet de traverser actuellement l’Atlantique en 7 heures est directement dérivé d’une famille de bombardiers, tandis que la plupart des Satellites, scientifiques habités lancés depuis 5 ans, ont utilisé des fusées balistiques géantes destinées à transporter une charge militaire. La lutte pour la vitesse présente dont à la fois des aspects militaires, économiques et politiques entraînant une véritable mobilisation des cerveaux pour résoudre des problèmes de plus en plus complexes, touchant aussi bien aux mathématiques pures qu’à la physique, la chimie ou la biologie.

L’ingénieur à l’habitude de classer les étapes de la vitesse (Figure 1) en six domaines, assez bien définis par les problèmes techniques qu’ils posent, problèmes qui se compliquent d’autant plus qu’il a souvent à concevoir des avions techniquement viables dans plusieurs de ces domaines à la fois :

Figure 1 – Le domaine des vitesses actuellement atteintes entre zéro et plus de 40.000 km/h déborde très largement celui des vitesses utilisables pour le transport aérien ; cependant, dans dix ans, le passager aura à sa disposition des avions évoluant entre zéro et 3000 km/h.

a) Le domaine des vitesses voisines de zéro intéresse les aérodynes à décollage et atterrissage à la verticale (ADAV ou VTOL) ou courts (ADAC ou STOL). On sait le développement considérable des recherches consacrées à ces machines depuis une décade, en vue d’augmenter l’écart de vitesse entre la croisière et le contact avec le sol, les deux solutions extrêmes en sont l’hélicoptère, appareil relativement lent en croisière mais d’excellente efficacité en vol stationnaire, et la fusée gigogne ”APOLLO » de la NASA, qui décollera de terre à la verticale et dont l’un des étages se posera sur la Lune, puis en redécollera, également à la verticale.

b) Le domaine subsonique correspond aux vitesses pour lesquelles l’avion n’est pas encore soumis aux troubles aérodynamiques liés à la compressibilité de l’air ; c’est le régime de vol de tous les avions de transport actuels, à hélices ou à réacteurs, dont la vitesse de croisière s’étage entre 400 et 1000 km/h environ, nous montrerons que dans l’avenir de ce domaine restera le plus utilisé pour le transport économique des passagers et du fret, en bénéficiant des progrès réalisés dans le domaine du décollage court ou à la verticale.

c) Le domaine transsonique renferme l le premier obstacle sérieux rencontré par l’ingénieur, le fameux « mur du son”, qui n’est d’ailleurs actuellement qu’une simple barrière, dont le franchissement n’est plus dangereux, mais reste coûteux.
La vitesse du son, voisine de 1100 km/h, nous servira d’étalon dans l’échelle des vitesses (nombre de Mach = 1), au milieu du domaine transsonique (entre M = 0,8 et 1,2 environ).
Les difficultés rencontrées dans ce domaine sont essentiellement d’origine aérodynamique, les troubles transsoniques provenant des modifications profondes de l’écoulement de l’air autour de l’avion nous verrons que des progrès considérables ont été réalisés dans ce domaine depuis 15 ans.

d) Le domaine supersonique s’étend de M = 1,2 (1300 km/h) jusqu’à environ M = 5 (5500 km/h) ; on y rencontre déjà le deuxième obstacle, appelé quelquefois « mur de la chaleur”, beaucoup plus grave que la barrière du son l’échauffement des parois croît, en effet, avec la vitesse (Figure 1), et il arrive un moment où la structure atteint une température critique au-delà de laquelle le métal perd ses propriétés mécaniques ; nous verrons que la vitesse de notre futur transport supersonique, à structure classique en alliage léger, devra être limitée pour cette raison à moins de 2400 km/h.

e) Le domaine hypersonique est plus vaste et moins bien connu, actuellement, que les précédents ; il s’étend entre 5500 km/h et Vs = 28.500 km/h, qui représente la vitesse juste nécessaire à la satellisation d’une capsule sur une orbite proche de la Terre ; cette nouvelle vitesse critique sera notre étalon en hypersonique au même titre que le nombre de Mach était notre repère dans les deux domaines précédents.
Le problème le plus difficile rencontré en hypersonique est l’échauffement formidable des parois, en particulier sur une capsule spatiale lors de sa rentrée dans l’atmosphère dense, après avoir parcouru une longue et tranquille trajectoire dans le vide ; cependant le succès du retour des premiers Astronautes Américains et Russes prouve que le problème de protection thermique d’une capsule spatiale est actuellement résolu, bien que la température frontale dépasse 5000° pendant les quelques minutes de la rentrée ; ces études sont d’ailleurs directement liés aux progrès réalisés avec les matériaux à ”ablation » développés pour la rentrée des charges militaires lancées par fusées balistiques ; par contre, le vol prolongé d’un avion aux vitesses hypersoniques n’est pas aussi simple (réf. 1).
Dans le domaine hypersonique, où le rôle de l’aérodynamicien s’était estompé devant celui du chimiste, chargé à la fois d’inventer de nouveaux matériaux résistant à l’échauffement et d’étudier de nouveaux mélanges propulsifs à haut rendement ; le rôle de l’électronicien a été également capital dans l’étude du guidage précis de la trajectoire de l’engin.
Cependant, dans un proche avenir, l’aérodynamicien sera le meneur de jeu dans la conception de l’avion hypersonique à Mach 7 o 10 (comme il l’est actuellement pour le transport supersonique), aussi bien pour le dessin de la cellule que pour l’étude du statoréacteur.

f) Notre 6ème et dernier domaine sera celui de l’espace, qui s’étend de la vitesse minimale de satellisation sur une orbite terrestre, soit 28.500 km/h, jusqu’à, ou au-delà, de la vitesse de libération de l’ordre de 40.000 km/h ; ce sera notre 3ème vitesse critique, celle qu’il faut imprimer au minimum à une capsule spatiale pour la libérer de l’attraction terrestre afin d’entreprendre l’exploration du Cosmos.
Dans ce domaine, les connaissances Astronomiques accumulées depuis des siècles trouvent un débouché passionnant ; le physicien à également un rôle prépondérant dans la conception de nouveaux moyens de propulsion dans l’espace, basée en particulier sur l’énergie électrique ou nucléaire ; enfin, le biologiste se penche déjà sur les conditions de vie peu confortables de l’Astronaute sans sa capsule puis sur d’autres Mondes …
Nous conclurons notre panorama sur la vitesse par une représentation graphique (Figure 2) des vitesses maximales successives par l’homme depuis 50 ans ; nous avons tracé 3 courbes distinctes pour montrer le décalage existant entre l’évolution de la vitesse des avions de transport et celles correspondant respectivement aux records officiels et aux performances atteintes par des avions expérimentaux ; on y voit clairement le bouleversement qu’a entraîné l’apparition du turboréacteur vers 1945, puis l’utilisation des fusées à la propulsion des avions expérimentaux (la barrière sonique est franchie dès 1947 sur le X-1, tandis que le X-15 atteint 6600 km/h en 1961) ; simultanément, la fusée permet la mise sur orbite des premiers satellites artificiels (octobre 1957), bientôt suivis des capsules habitées par des Astronautes Russes et Américains (avril 1961), ouvrant ainsi l’ère spatiale.

La courbe relative aux avions de transports est déphasée d’une dizaine d’années par rapport aux avions militaires opérationnels, mais son évolution montre que le transport doit voir le jour dans la prochaine décade. A la notion de vitesse, il est essentiel d’associer celles d’altitude et de distance.
Figure 2 – L’évolution de la vitesse des avions depuis 30 ans laisse prévoir l’arrivée du transport supersonique au cours de la prochaine décade, les jets subsoniques ne dépasseront guère leur vitesse actuelle, au pied du mur du son, mais leur rentabilité et leur sécurité seront accrues

Le corridor de vol

En ce qui concerne l’altitude, nous allons évoluer à l’intérieur de la mince pellicule d’air entourant la Terre, épaisse de 100 km environ (soit 1,5%
Seulement du rayon terrestre), où l’atmosphère peut être encore considérée comme un milieu continu, à l’intérieur de cette couche d’air, la pression et donc la densité diminuent très rapidement avec l’altitude (de 1 atmosphère à 2/10.000.000 d’atmosphère) et la température varie d’une manière discontinue, pour voler de plus en plus vite au rendement aérodynamique optimal, l’avion devra suivre une trajectoire ascendante : la Figure 3, représente un tel vol pour un avion hypothétique ayant une charge alaire constante : au voisinage du vol, sa vitesse optimale est de 650 km/h environ, puis il atteint 2850 km/ (M = 2,7) à 215 km d’altitude et 20.000 km/h environ à 55 km d’altitude : à ce moment, la force centrifuge développée par cette trajectoire quasi-circulaire autour de la Terre déjà la moitié du poids de l’avion ; enfin ; vers 100 km d’altitude, à la vitesse de satellisation (28.500 km/h), la force centrifuge équilibre entièrement de poids de l’avion, qui tournerait alors indéfiniment autour de la Terre s’il ne rencontrait encore quelques molécules d’air pour le freiner et le faire décrocher de son orbite dès le premier tour, l’avion effectuera alors sa rentrée planante en suivant la même loi (altitude, vitesse) jusqu’à son atterrissage.
Si l’avion vole à une incidence plus grande que celle de la finesse maximale, il peut s’élever à une altitude plus grande pour une même vitesse, mais il est limité alors par la portance maximale de son aile (perte de vitesse) : nous avons ainsi dessiné la borne supérieure du corridor de vol, au-delà de laquelle le vol aérodynamique est impossible, l’avion étant trop lourd.

Figure 3 – Corridor d’un avion satellisable à rentrée planante, comparé à celui de la rentrée balistique d’une capsule spatiale, l’avion doit évoluer à travers la mince pellicule d’air entourant la Terre, où ses parois sont soumises à un échauffement qui croit dangereusement avec la vitesse.

Le Mur de la chaleur

La deuxième frontière est celle de la chaleur : à une altitude donnée (correspondant à une certaine densité de l’air), il existe une vitesse critique pour laquelle la température d’équilibre des parois de l’avion va atteindre une valeur excessive mettant en danger sa structure, nous avons fixé ici deux frontières thermiques arbitraires, correspondant à la limite d’emploi des revêtements en acier (530°C) et en alliage spécial au molybdène (1130 °C) : au-dessous de ces frontières, le vol est également impossible : la porte du corridor sera d’ailleurs fermée vers 8000 km/h si le revêtement de l’avion est en acier.
Ce simple exemple montre que le vol sustenté, et non plus balistique, aux hyper vitesses dans cet étroit corridor pose des problèmes extrêmement difficiles à l’ingénieur.
En ce qui concerne notre échelle des valeurs, elle est comprise entre zéro et 150 millions de kilomètres : au bas de l’échelle, nous trouverons les quelques kilomètres parcourus par une lourde charge soulevée avec un hélicoptère-grue, puis le voyage Paris-Londres accompli en moins de ¾ d’heure par ”Caravelle » et le trajet Paris New-York, durant actuellement 7 heures, mais seulement 3 heures dans dix ans avec les transports supersoniques ; un repère commode pour les vols hypersoniques sera la longueur du méridien terrestre, soit 40.000 km (vol aux antipodes en moins de 3 heures avec un avion Mach 7) ; enfin, pour les vols interplanétaires dont la durée se comptera en mois, sinon en années, la base de l’échelle des distances sera l’Unité Astronomique, soit les 150 millions de kilomètres séparant en moyenne la Terre du Soleil.

L’énoncé des divers domaines de vitesse suffit à montrer l’extrême diversité des problèmes à résoudre par l’Aérodynamicien au stade de la conception puis du développement d’un avion,; ces problèmes se rattachent principalement aux performances, aux qualités de vol et à l’échauffement cinétique, que l’on devra estimer, par le calcul et l’expérimentation, dans un domaine souvent très vaste de nombres de Mach, ainsi un avion VTOL supersonique devra être étudié entre M = 0 et 2, tandis que pour un planeur orbital atterrissable, le domaine des vitesses s’étendra entre M = 20 et 0,2.

Le laboratoire au service de l’avion

Pour résoudre ces problèmes, des moyens scientifiques et techniques considérables doivent être mis en oeuvre, dont nous donnerons maintenant quelques exemples pris à l’ONERA.
Les mis à notre disposition sont essentiellement des Souffleries Aérodynamiques permettant de simuler des vitesses s’étendant de zéro à 20.000 km/h environ (Figure 4), dans lesquelles sont essayées des maquettes souvent à faible échelle, mais reproduisant avec précision la forme du projet (Figure 5) ; les mesures effectuées portent sur les efforts ou dynamiques, ou encore sur l’étude des répartitions de pressions de l’écoulement autour des modèles est essentielle à la compréhension des phénomènes aérodynamiques (Figure 6).
Figure 4/A – La mise au point aérodynamique des avions est effectuée dans des souffleries, où ils sont essayés sous forme maquettes. Le graphique représente le diamètre des veines d’essais utilisées à l’ONERA pour déterminer les caractéristiques aérodynamiques des avions et des engins dans un domaine étendu de nombres de Mach.

Figure 4/B – Maquette au 1 :18ème de Concorde dans la soufflerie S 2 de Chalais

Figure 4/C – Essai en vrai grandeur du turbopropulseur de l’avion embarqué Bréguet Alizé dans la grande soufflerie sonique S 1 de Modane.

Figure 4/D – Etude d’une maquette de Concorde dans une tuyère supersonique de la soufflerie S 5 de Chalais

Figure 5 – Exemple de maquettes à petite échelle de projets essayés à l’ONERA, Dassault Super Mystère, Nord Griffon, SUD/BAC, Concorde, Dassault Mirage, Planeur hypersonique de rentrée spatiale.

Figure 6/A – Visualisation de l’écoulement autour de la maquette de Concorde : nappes tourbillonnaires à l’atterrissage

Figure 6/B – Visualisation des ondes de choc autour de Concorde à la vitesse de croisière Mach 2,2.

Figure 7/A – Etude à l’ONERA sur l’échauffement d’un avion supersonique en soufflerie et en vol sur engin : Missile expérimental D 6 à 3 étages propulsés par fusées à poudre sur sa rampe de lancement. Les températures mesurées sur l’aile durant le vol horizontal à 2300 km/h et 9000 m d’altitude à la base de l’île du Levant Marine Nationale.

Figure 7/B – Processus d’échauffement d’avion et résultats comparés de l’expérimentation et du calcul. Figure

L’expérimentation en vol est souvent indispensable soit pour vérifier les résultats obtenus en soufflerie (c’est le cas d’une étude sur l’échauffement cinétique dans les conditions de vol de Concorde à M = 2 (Figure 7), soit pour y suppléer lorsque celles-ci ne peuvent fournir une similitude correcte des conditions de vol ; c’est en particulier le cas posé par l’étude de l’échauffement en. hypersonique : on utilise alors des missiles expérimentaux multiétages permettant par exemple d’obtenir, par télémesure vers le sol, les caractéristiques aérodynamiques et thermiques d’un corps rentrant dans l’atmosphère à M = 12 (projet ”Bérénice », tiré par l’ONERA à l’île du Levant).
Dans le domaine des vitesses qui intéresse l’avion de transport, le Centre d’essais de l’ONERA de Modane (réf. 5) réunit des moyens d’essais uniques en Europe (Figure 8), qui permettent d’apporter une aide essentielles aux Constructeurs au cours de l’élaboration de leurs projets ; ces moyens, joints à ceux de Chalais-Meudon, Palaiseau, Fontenay et de Cannes, permettent en outre de poursuivre des recherches fondamentales qui devancent souvent de 10 à 20 ans les applications pratiques.

Figure 8 – Le laboratoire de l’ONERA installé dans la Vallée de l’Arc près de Modane, est le plus grand centre d’essais aérodynamique en Europe. Les puissances installées (turbines alimentées directement par une chute d’eau de 800 m) sont respectivement de 110.000 et 75.000 CV pour les souffleries S 1 (sonique au premier plan) et S 2 (trans et supersonique au deuxième plan).

Les recherches pour l’avion de demain

La ruée vers l’Espace de ces dernières années à quelque peu freiné les recherches destinées à rendre les avions plu sûrs et plus économiques ; cependant, on commence à se rendre compte actuellement qu’un développement considérable du transport aérien est inéluctable et qu’il faut préparer de meilleurs avions pour y faire face.
Les progrès à espérer au cours de la prochaine décade porteront principalement sur la propulsion, les matériaux et l’aérodynamique, avant de nous intéresser exclusivement à ce dernier domaine, mentionnons que les progrès à espérer sur les turbo-machines porteront à la fois sur leur poids spécifique (rapport poussée/poids probablement doublé) et leur consommation spécifique (gain de 10% par exemple, grâce à une élévation du niveau de température devant la turbine) ; d’autre part, la mise au point de nouveaux matériaux (super-alliages et plastique renforcés par des fibres, mis au point, en particulier, pour des applications spatiales) devraient permettre de réduire sensiblement le poids de structure, des progrès, joints à un meilleur rendement aérodynamique de la cellule ; laissant présager une amélioration considérable de la rentabilité du voyage aérien dans les prochaines années (charge utile doublée par rapport au « jet” actuel, pour un même poids total et la même vitesse (ref 2).

Le décollage et l’atterrissage

Actuellement, nous avons résolu le problème du retour d’un Cosmonaute dont le vaisseau pénètre dans notre atmosphère à 28.000 km/h, mais nous sommes incapables d’assurer la sécurité totale d’un avion de transport qui quitte ou aborde l’aérodrome à des vitesses trop élevées, sur des pistes quelques fois trop courtes et avec un guidage électronique souvent insuffisant, ces difficultés au décollage et à l’atterrissage sont dues en grande partie au fait que si la vitesse est rentable, comme nous le verrons plus loin, par contre la lenteur coûte fort cher, car elle impose des configurations souvent peu compatibles avec un bon rendement en vol de croisière.

L’essor vertical

Il faut reconnaitre qu’un effort considérable a été entrepris dans ce domaine, depuis dix ans, grâce à des programmes de recherches en laboratoires et en vol, le plus souvent simulés par les militaires à la recherche d’une grande mobilité opérationnelle ; on a vu naitre ainsi toute une famille d’aérodynes expérimentales (réf 8) plus ou moins bizarres dont la caractéristique essentielle était de pouvoir ses sustenter aux très faibles vitesses (STOL) ou d’être capables du vol vertical (VTOL).
Pour réaliser l’essor vertical, il faut engendrer une poussée légèrement supérieure au poids de l’avion ; on peut établir un classement des types de VTOL (Figure 9) suivant le prix payé pour développer cette poussée ; la puissance dépensée étant proportionnelle à la vitesse du jet vertical, il est évident qu’un rotor d’hélicoptère, imprimant une faible vitesse (de l’ordre de 25 m/s) à une grande masse d’air aura une efficacité sustentatrice bien meilleure qu’un turboréacteur éjectant un faible débit de gaz à très grande vitesse (de l’ordre de 700 m/s) ; en conséquence, la consommation de carburant d’un VTOL à réacteurs sera au minimum de 10 fois celle d’un hélicoptère pendant le vol stationnaire ; par contre, l’hélicoptère est peu doué pour le vol horizontal à grande vitesse en raison même du diamètre imposant du rotor (apparition de troubles de compressibilité en bout de pales), tandis que le VTOL à réacteurs pourra, soit utiliser ceux-ci pour assurer le vol à grande vitesse en orientant les jets vers l’arrière (Hawker 1127), soit arrêter les réacteurs de sustentation et utiliser, pour effectuer la mission à grand vitesse, un turboréacteur classiques (GAMD Mirage III & V) ; entre ces deux configurations extrêmes nous trouverons toute une famille de VTOL dont le système sustentateur fait appel à des rotors, des hélices classiques ou carénées, et à des réacteurs à simple ou double flux (Figure 9).

Il est encore trop tôt pour porter un jugement d’ensemble sur les VTOL, mais il est probable qu’ils resteront encore longtemps des machines complexes, dont coûteuses et difficiles d’emploi, à l’exception de l’hélicoptère ; ce dernier verra d’ailleurs ses performances améliorées par un affinement des formes aérodynamiques, par de nouvelles conception de rotors (par exemple, l’utilisation d’un jet cyclique au bord de fuite de la pale, solution proposée par la Société DORAND ou encore par l’adjonction de surfaces sustentatrices fixes destinées à délester le rotor, et de propulseurs auxiliaires pour le vol de croisière.
Des recherches importantes sont entreprises en France sur l’amélioration du rendement des hélices carénées (Nord Aviation et Société BERTIN) en collaboration avec l’ONERA, en vue de leur utilisation sur des VTOL ayant une vitesse de croisière supérieure à 500 km/h.

Figure 9 – L’essor vertical est l’objet d’études considérables en laboratoire et en vol depuis l’apparition des turbines à gaz ; le graphique montre que l’efficacité sustentatrice est d’autant meilleure et la consommation de carburant en vol stationnaire d’autant plus faible que le rotor est plus grand. L’hélicoptère est actuellement, dans ce domaine, imbattable, mais sa vitesse de croisière est limitée à 300 km/h environ.
On sait également l’effort considérable entrepris en France sur le VTOL supersonique à réacteurs de sustentation (Mirage III-V de la GAMD, Figure 10) ; les progrès espérés sur le poids spécifique des réacteurs de sustentation (rapport poussée sur poids de 20/1 au moins, dans l’avenir) pourraient permettre de les utiliser sur une future génération d’avions civils VTOL rapides.

Figure 10 – L’avion supersonique Mirage II-V utilise pour son essor vertical 8 réacteurs de sustentation disposés dans le fuselage. De nombreux essais ont été effectués à l’ONERA pour étudier son comportement aérodynamique (maquette au 3/100ème dans la soufflerie de Cannes) et pour mettre au point le fonctionnement des réacteurs dans leurs conditions réelles de fonctionnement (demi-avion vraie grandeur équipé de 4 réacteurs Rolls-Royce dans la soufflerie S 1 de Modane.

Le décollage court

Dans le domaine du décollage court, le Bréguet 941 représente une excellente solution aérodynamique basée sur la déflexion vers le bas de la poussée des hélices grâce à des volets classiques (Figure 11) ; cette formule répond à des besoins civils et militaires qui seront de plus en plus évidents (référence 9).

Figure 11 – L’avion a décollage court est particulièrement attendu pour le transport de ville à ville. Le STOL Bréguet 941 doit ses excellentes performances à des études approfondies en soufflerie. La stabilité d’une maquette motorisée est étudiée ici dans la grande soufflerie S 1 de Chablais-Meudon ; la maquette a tété ensuite pilotée en vol libre dans cette même soufflerie pour familiariser les pilotes avant le vol
Dans le domaine des STOL à réacteurs, la formule de la poussée orientable (Hawker 1127 en surcharge) permet de réduire considérablement les longueurs de pistes utilisables ; une solution voisine, mais d’une efficacité supérieure, consiste à intégrer la propulsion à l’aérodynamique avec l’aile à jet (avion jet-flap expérimental anglais Hunting) ; ici, le ”jet mince », intéressant toute l’envergure de l’aile, assure à la fois la propulsion en croisière et une très forte hypersustentation lorsqu’il est défléchi vers le bas (Figure 12 c) ; le succès de cette configuration est lié au développement de petits réacteurs légers à double flux, distribués à l’intérieur de l’aile.
Des débits de soufflage plus modestes permettent d’empêcher le décollement de l’écoulement sur un volet hypersustentateur, ce contrôle de couche limite (figure 12 b)sur un volet à simple rotation a donné lieu à des recherches nombreuses en laboratoire à l’ONERA, puis en vol sur des avions expérimentaux (Bréguet Vultur et Dassault Etendard) ; ce dispositif, déjà courant sur les avions militaires embarqués, se généralisera le jour où les motoristes auront développé des générateurs de gaz légers et compacts, liés ou non aux turbomoteurs de propulsion, et capables de fournir leur pleine puissance pendant le décollage et l’atterrissage.

Figure 12 – L’efficacité des volets seulement à l’atterrissage dépend leur extension et de leur braquage, mais aussi de l’absence du décollement de l’écoulement à l’extrados (a) visualisé ici dans le tunnel hydrodynamique de l’ONERA, une fente naturelle ou un jet de soufflage permet de maintenir cet écoulement correct jusqu’à des braquages importants (b) si l’intensité de soufflage est encore augmentée, le jet forme à l’arrière du volet
fluide (c) qui permet un hypersustentation considérable ; on peut envisager dans l’avenir des avions à ailes propulsives dont les performances de croisière et de faible vitesse devaient être remarquables

Les avions de transport actuels utilisent des volets hypersustentateurs classiques de plus en plus sophistiqués avec des prodiges de cinématique permettant leur braquage combiné à un recul (Figure 12 d) : gain de 50% sur le coefficient de portance maximale entre le premier Boeing 707 et le Boeing 727 (référence 7), malgré l’augmentation continue de la charge alaire de ces avions, la croissance de la vitesse d’atterrissage a pu être relativement limitée (Figure 13) : on notera sur ce graphique les bonds successifs de l’écart de vitesse avec l’apparition des turboréacteurs).

Figure 13 – Malgré l’amélioration des dispositifs hypersustentateurs, les vitesses d’atterrissage n’ont cessé d’augmenter depuis 20 ans, en raison de la charge alaire croissante des avions de transport. De meilleures performances aux basses vitesses doivent être obtenues sur la prochaine génération des ”Jets ».

L’avion a flèche variable

A propos de la réduction des vitesses de décollage et d’atterrissages des avions à hautes performances, on sait le développement actuel des avions à flèche variable (avion multi-missions F-111 et projet TSS Boeing 733) : la rotation des ailes autour de pivots judicieusement situés permet en effet d’optimiser les performances à la fois aux basses vitesses (aile droite de grand allongement fortement hypersustenté), en transsonique (mission d’attaque au sol, avec ailes repliées, d’où faible sensibilité aux rafales) et enfin en supersonique (ailes en forte flèche, d’où une faible traînée) ; cette solution comble l’Aérodynamicien, car il peut y intégrer toutes ses formules d’optimisation, valables aux vitesses subsonique, transsonique et supersonique ; des méthodes de calcul développées à l’ONERA et utilisant la théorie des analogies électriques sont particulièrement précieuses dans ce domaine (Figure 14).

Figure 14 – L’avion en flèche verticale est une élégante solution de compromis entre des exigences contradictoires aux faibles vitesses et en supersoniques. Des études fondamentales ont été entreprises à l’ONERA pour optimiser de telles configurations, qui font appel en particulier à des méthodes d’analogie électrique pour déterminer l’emplacement le plus favorable du pivot.

L’aile élancée

La portance d’une aile classique de grande envergure est limitée par l’apparition de décrochage, c’est-à-dire du décollement de l’écoulement sur la face supérieure de l’aile lorsque l’incidence de l’avion augmente (Figure 15) ; il en est tout autrement pour les ailes en flèche de faible allongement, souhaitables pour un bon rendement aérodynamique en vol supersonique : la portance de l’aile élancée croît en effet beaucoup moins vite avec
l’incidence que celle de l’aile de grand allongement, et la portance utilisable au décollage et à l’atterrissage est maintenant limitée, non plus par le risque de perte de vitesse, mais par une trop forte inclinaison du fuselage par rapport au sol (visibilité insuffisante du pilote et danger de toucher avec l’arrière du fuselage) ; cet angle limite est de l’ordre de 12° à 13° au maximum et c’est une pénalité très lourde pour les ailes élancées du type « Delta” de ne pouvoir utiliser pratiquement toute leur possibilité de sustentation ; cependant, les recherches en souffleries, effectuées à l’occasion du programme ”Concorde », ont montré que des ailes élancées pouvaient bénéficier d’un supplément de portance notable grâce au développement d’une nappe tourbillonnaire stable le long du bord d’attaque, créant une « aspiration” intense sur l’extrados de l’aile ; la forme en plan de Concorde a été dessinée pour bénéficier au maximum de cet avantage, ce qui a permis d’adopter la solution sans queue ; de plus, la faible charge alaire de Concorde, favorable au vol supersonique à haute altitude (atténuation du ”bang » propagé au sol), jointe à un effet de sol très favorable, contribuent également à réduire ses vitesses de décollage et d’atterrissage (Figure 15).

Figure 15 – Comparaison des portances utilisables à l’atterrissage sur un avion à réaction classique et sur le projet » CONCORDE”.

L’avion de transport aux grandes vitesses

Pour bien comprendre les deux options que nous aurons à choisir, voler soit au pied, soit au-delà de la barrière du son, il nous faut revenir aux phénomènes qui apparaissent en transsonique lorsque les survitesses dans l’écoulement de l’air au voisinage des parois dépassent localement la célérité du son ; ceci définit un nombre de Mach « critique” de vol, qui apparaîtra d’autant plus tard que les ailes seront plus minces, avec une flèche plus accentuée (le ”Mach critique » est compris entre 0,75 et 0,90 environ pour les avions de transport à réaction actuels).
Si la vitesse de l’avion continue à augmenter, des troubles transsoniques graves apparaissent à partir du « Mach limite”, qui bouleverse souvent la stabilité ou le pilotage, entraînent des vibrations (buffeting), et provoquent toujours une chute de la finesse, c’est-à-dire du rendement aérodynamique.
Enfin, la borne supérieure du domaine transsonique est située vers le nombre de Mach M = 1,2 environ, à partir duquel les caractéristiques aérodynamiques de l’avion sont réglées par les lois d’écoulement supersonique : c’est à nouveau le calme après la tempête.
Finalement, l’existence de ce régime désagréable nous oblige au choix entre deux formules :

– Les avions qui traverseront en force, pendant un temps très court, le domaine transsonique, pour effectuer ensuite leur mission principale à des vitesses supersoniques (intercepteurs et bombardiers récents, futurs transports supersoniques.
– Les avions dont la vitesse est limitée à la frontière inférieure (Mach limite) : c’est le cas de tous les avions commerciaux à réaction actuels et de ceux de la deuxième génération en cours d’étude.
La propulsion sera assurée, dans la première catégorie, par des turboréacteurs puissants, utilisant souvent la postcombustion pendant une partie de la mission, tandis que pour les avions de de transport subsoniques, on cherchera le mode de propulsion le mieux adapté à la vitesse de croisière : soit le turbo*propulseur tant que l’hélice conserve un rendement acceptable (c’est-à-dire jusqu’à 700 km/h environ), soit le turboréacteur classique, ou mieux, à double flux, pour des vitesses plus élevées, atteignant 1000 km/h environ pour des avions bien étudiés.

A l’attaque du Mur du Son

Nous avons vécu, entre 1945 et 1952, une époque assez comparable à celle des pionniers de l’aviation durant la première décade de ce siècle ; toutes deux nous ont laissé une longue liste d’accidents, les pilotes devant affronter les premiers des phénomènes mal connus, sans l’aide d’une Science Aéronautique efficace.
La naissance de la propulsion à réaction avait en effet permis d’atteindre des vitesses inaccessibles jusqu’alors avec la propulsion par hélices, sans que nos connaissances en aéronautique suivent une évolution parallèle ; l’une des principales raisons de ce déphasage entre l’expérimentation en vol et les recherches en laboratoire provenait du fait qu’il était alors impossible de simuler en soufflerie des vitesses supérieures à M = 0,9 environ ; or, la plupart des troubles graves apparaissaient lors de vols en piqué au voisinage de M = 1 ; tout changea le jour où l’on réussit à réaliser un écoulement transsonique correct dans les souffleries grâce à des parois perméables autour de la maquette en essai ; la soufflerie transsonique S 5 de Chalais fut inaugurée en juin 1953 par l’essai d’une petite maquette au 1/60ème du Mystère II, avec laquelle ont pu reconstituer les troubles ressentis quelques semaines plus tôt lors de vols en piqué jusqu’à la vitesse du son (Figure 16) ; les essais en soufflerie permirent alors d’avertir les constructeurs des dangers possibles avant les vols d’essais, puis d’améliorer sensiblement les caractéristiques transsoniques des avions en cours d’étude ; le public se souvient sans doute des gris-gris qui surgirent brusquement à l’époque sur la plupart des prototypes : épaississement des bords de fuite d’ailerons et générateurs de tourbillons plantés comme une forêt à l’extrados des voilures (pour supprimer l’engagement en roulis, l’inversion d’efficacité d’aileron ou l’auto-cabrage en transsonique), ou encore un bulbe assez insolite au niveau d’une dérive (pour éviter à un avion d’être transversalement instable au passage du son ).

Figure 16 – La simulation en soufflerie du passage du mur du son d’un avion permet de détecter, puis de corriger les troubles transsoniques avant le premier vol. La mise en service, en 1953, de la première soufflerie transsonique française (S 5 à Chalais) a coïncidé avec le développement de l’intercepteur Mystère II qui passa le premier mur du son.

a) Visualisation de décrochage du bout d’aile, qui fut guéri sur l’avion de série.
b) Ondes de choc se développant autour de la maquette à des MACH croissants.
c) L’évolution du pilotage longitudinal à l’approche du Mach 1 est correctement reconstitué en soufflerie ; le passage du son sur les intercepteurs suivants fut considérablement facilité grâce à l’augmentation de la flèche et a des profils d’aile plus minces
Peu après, les fuselages prirent l’allure de bouteille de ”Coca Cola », cette taille de guêpe au niveau de la voilure permettant d’assurer une meilleure continuité de la loi des sections transversales, d’où une réduction considérable de la traînée et des troubles de stabilité au passage du son ; cette loi des aires conjuguée à des ailes plus minces, en flèche plus accentuée, devait ouvrir l’ère des vrais intercepteurs transsoniques (Etendard IV) puis supersoniques (Mirage III).
Les règles permettant de réduire les survitesses autour d’un avion, donc d’augmenter sa vitesse limite de sécurité et d’économie :
– Réduction de l’épaisseur des profils d’aile et d’empennage.
– Accentuation de la flèche.
– Application de la loi des aires.
– Adaptation des profils le long de l’envergure de l’aile, reste toujours celles de l’Aérodynamicien lorsqu’il cherche à optimiser un avion à grande vitesse subsonique.

Le transport subsonique

La sécurité une condition nécessaire mais non suffisante pour une Compagnie aérienne ; il faut encore que l’avion subsonique ait un bon rendement d’exploitation dans le domaine de vol juste inférieur au Mach limite ; c’est déjà le cas, puisque l’exploitation des lignes civiles avec des « jets” s’avère plus rentable qu’avec des avions à hélices, grâce à une rotation plus rapide du matériel, mais surtout parce que les rendements aérodynamiques et de propulsion sont excellents.
Des progrès restent à faire cependant, dans le domaine aérodynamique en particulier, pour optimiser les formes de profils et la cambrure des ailes conduisant à une meilleure finesse et à un Mach limite plus élevé en vol de croisière ; il est également nécessaire d’améliorer les qualités de vol, en particulier la stabilité transversale et le comportement en atmosphère turbulente ; à ce propos, de nouvelles recherches sur des dispositifs ”absorbeurs de rafales » semblent nécessaires pour améliorer le confort des passagers et réduire la fatigue des structures à la traversée souvent inévitable de zones turbulentes.
Souhaitons que la prochaine génération de « jets” subsoniques profite pleinement des recherches possibles en laboratoire.

Le transport supersonique est pour demain

Le domaine supersonique nous est déjà familier puisque de nombreux avions militaires y ont accès ; cependant, peu d’avions y ont séjourné longtemps parce que le vol supersonique coûte cher jusqu’ici, et qu’il entraine l’échauffement progressif des parois de l’avion ; malgré ces difficultés, les bureaux d’études d’au moins quatre pays travaillent à des projets de transport supersonique qui prendront dans dix ans la relève des ”jets » subsoniques sur certaines lignes à grand trafic, en raison de l’importance des moyens techniques et financiers à mettre en oeuvre pour réussir un tel avion sa construction représente un effort qui engage le prestige national au même titre que la réussite d’une exploration spatiale.
Puisque nous étudions un avion à vocation commerciale, la première question est ; « A quel prix va-t-on payer la vitesse ?”; ce qui intéresse l’utilisateur, c’est en effet de transporter la plus forte charge utile sur la plus grande distance est à la plus grande vitesse possibles.
Comme pour le vol subsonique, la réponse est contenue en grande partie dans la formule de Bréguet qui reflète le rendement de vol d’un long-courrier (Figure 17).
Figure 17 – Le rendement de vol d’un long-courrier dépend des paramètres suivants : vitesse ; consommation des réacteurs, finesse de l’aérodynamique, poids de l’avion à vide, on montre ainsi que le transport supersonique « Concorde” devient compétitif avec les ”Jets » actuels pour un nombre de Mach de l’ordre de 2 grâce à l’augmentation considérable de la vitesse de croisière.

Ainsi le rayon d’action est proportionnel :
– A la finesse ”f » (rapport du poids de l’avion à la poussé nette des réacteurs) donc au rendement aérodynamique.
– Au rapport de la vitesse à la consommation spécifique des réacteurs, ce qui équivaut à un rendement global de propulsion.- A un facteur où intervient le rapport des poids de l’avion au début et en fin de croisière, c’est-à-dire le poids de carburant consommé (Pc = P initial – P final).
Le rayon d’action sera donc d’autant grand que le poids de carburant consommé sera élevé vis-à-vis du poids de l’avion vidé presque complètement.
Le poids final inclut la structure, les moteurs, les équipements, les passagers, le fret et enfin les réserves de carburant imposées pour la sécurité de la fin du vol ; l’ingénieur cherchera donc un compromis optimal en réduisant le poids de la cellule tout en respectant les normes de sécurité et en allégeant au maximum le système propulsif et les équipements ; les problèmes d’échauffement cinétique n’arrangent d’ailleurs pas le devis de poids en raison des structures plus complexes et des équipements de réfrigération.
– En ce qui concerne le rendement global de propulsion, rapport de la vitesse de croisière à la consommation spécifique des moteurs, on constate d’abord que cette dernière augmente fâcheusement en passant du régime subsonique (Cs inférieur à 0,9 kg de pétrole par kg de poussée et par heure à M = 0,85) au régime supersonique (Cs = 1,3 et 1,6 respectivement à M = 2 et 3) ; malgré cela, et c’est heureux pour l’avenir du TSS, le rapport V/Cs augmente considérablement avec la vitesse.
– Par contre, la finesse aérodynamique, rapport du poids de l’avion à sa résistance globale à l’avancement, chute considérablement au passage de la vitesse du son et continue à décroître légèrement en supersonique.

Le transport supersonique peut être rentable

Finalement, le facteur de rayon d’action (f X V/Cs) décroît d’abord brusquement en subsonique élevé (à l’approche du Mach limite vu plus haut), mais la croissance du rendement de propulsion en supersonique permet, si l’avion est bien dessiné, de compenser la faible finesse aérodynamique et d’obtenir un rendement de vol comparable à celui des « jets” actuels, entre M = 2 et 3 (Figure 17).
Mais il demande beaucoup de recherches
On voit cependant que le bilan est assez ”pointu » et le TSS demande une étude beaucoup plus serrée que celle des avions actuels pour être économiquement rentable ; dans ce travail, l’aérodynamicien à une lourde responsabilité, non seulement dans le dessin de la cellule, mais aussi dans l’étude des groupes propulseurs, puisque la consommation des moteurs sera directement liée à l’efficacité des prises d’air et les tuyères de sortie des réacteurs spécialement adaptées au vol supersonique (Figure 18).

– En ce qui concerne la recherche d’une finesse aérodynamique acceptable en croisière supersonique, il faut minimiser les différents éléments de la résistance à l’avancement ; à la résistance de frottement et celle liée à la portance, déjà rencontrées en vol subsonique, s’ajoutent maintenant la « traînée d’ondes” liée à l’épaisseur du corps, et d’une traînée parasite provenant de l’équilibrage longitudinal de l’avion :-La résistance de frottement est relativement plus faible qu’en subsonique, à égalité de surface intéressée par l’écoulement en
raison de la plus grande valeur du nombre de ”Reynolds » (produit de la dimension de l’avion par la vitesse, à une altitude donnée).
La Figure 18 – L’optimisation de l’ensemble propulseur a une importance capitale dans la viabilité du transport supersonique et de nombreux essais sont encore en cours à l’ONERA pour augmenter l’efficacité de la prise d’air et des tuyères de sortie des réacteurs dans tout le domaine de vol.

– La résistance de portance augmente fâcheusement en supersonique, mais on peut la minimiser par une adaptation judicieuse de la cambrure du nez des profils lorsque la flèche est assez prononcée, comme c’est le cas pour « Concorde” à Mach 2.
– La résistance d’ondes, due à l’épaisseur, sera d’autant plus faible que les ailes seront plus minces et le fuselage plus effilé ; l’épaisseur relative des profils doit être de 3 à 4% contre 10 à 12% sur les ”jets » actuels, et il n’est plus permis d’avoir un habitacle faisant saillie en croisière supersonique.
– Enfin, la résistance d’équilibrage, liée à une fâcheuse augmentation de la stabilité longitudinale en supersonique, peut être minimisée ici encore par une adaptation de la cambrure de l’aile, mais aussi en jouant sur la position du centre de gravité grâce à un transvasement judicieux du carburant de l’avant vers l’arrière ; ces deux méthodes sont utilisées simultanément sur Concorde.
La recherche d’un meilleur rendement aérodynamique, mais aussi de bonnes qualités de vol dans le domaine des vitesses comprises entre 250 et 2500 km/h demande des études théoriques et expérimentales considérables sur le projet « Concorde”, dont une partie est assurée à l’ONERA en collaboration étroite avec les services officiels et les constructeurs des deux pays.

L’avion de transport d’après-demain

Pour terminer ce rapide survol de quelques problèmes posés par le transport civil aux grandes vitesses, on peut se demander s’il y aura une limite à cette course de vitesse ; il semble que la réponse soit pour le moment affirmative, pour deux raisons au moins :
– les difficultés techniques, liées en particulier à l’échauffement aérodynamique prolongé (tenue des structures, réfrigération) seront de plus en plus difficiles à résoudre, et les avions civils de plus en plus coûteux pour des vitesses dépassant Mach 3 (température de 320° C aux points les plus chauds).
– notre Terre va devenir trop petite, dont les étapes trop courtes, pour profiter de telles vitesses ; le voyageur mettrait autant de temps pour se rendre et revenir des Aérodromes et subir les formalités administratives que pour faire la moitié du tour de la Terre à bord d’un avion hypersonique…
Par contre, il est à prévoir un trafic spatial important entre la Terre et des stations laboratoires sur orbites relativement proches ; pour ce trafic de « passagers privilégiés », plusieurs pays ont à l’étude l’avion de transport Aéro-Spatial.

On peut l’envisager sous forme d’un aérodyne multi-étage, le premier étage étant constitué par un avion relativement classique, propulsé par turbo-statoréacteur, et capable de décoller à pleine charge, puis d’atterrir après avoir largué, vers Mach 7 ou 10, une fusée capable de mettre sur orbite un planeur habité, après le « rendez-vous” avec la station laboratoire, ce planeur (Figure 19) pourrait revenir se poser sur des pistes classiques, en suivant une trajectoire de rentrée planante pilotée (référence 4).
Figure 19 – Dans vingt ans, un trafic intense est à prévoir entre la Terre et des stations laboratoires satellisées ; des avions multi-étages mettront sur orbite des planeurs habités qui rentreront ensuite en vol plané pour se poser. Des formes portantes émoussées sont à l’étude à l’ONERA pour de telles rentrées spatiales. Leurs caractéristiques aérothermodynamiques sont étudiées ici à Mach 10 (a, soufflerie R3 de Chalais) et à l’atterrissage ; (b, soufflerie de Cannes).

Mais finalement, ce que souhaitera le passager moyen de la prochaine décade, c’est aussi un moyen de transport rapide sur courtes distances, prenant silencieusement son essor au milieu de la cité ; c’est également un bon sujet de recherches…

Philippe POISSON-QUINTON

Les graphiques de cet exposé ont été dessinés par J. COMMELIN et les photographies proviennent du Service Documentation de l’ONERA.

BO K.O LUNDBERG : Il faut renoncer au supersonique.

Comme Robert VERGNAUD, les pilotes de Ligne pensent bien sûr que le ”projet CONCORDE devait être sauvé ». Quel que soit notre enthousiasme, l’objectivité, dont nous nous sommes fait =une règle, nous conduit à vous présenter le point de vue exprimé par BO K.O LUNDBERG Directeur de l’institut Suédois d’Aéronautique

La controverse au sujet de l’avion de transport supersonique est si vaste et si compliquée qu’il n’est pas question de l’épuiser dans un seul et court article. Si néanmoins j’ai répondu à l’invitation d’ICARE et si j’ai écrit un article à ce sujet, ce fut avec l’idée que je pouvais en gros présenter une liste des principaux faits et considération qui, à mon avis, s’opposent au SST (1) et faire quelques commentaires sur les arguments qui sont en général mis en avant pour la défense du SST, je considère que chacun des 7 principaux obstacles que je vais énumérer est si sérieux qu’un seul d’entre eux garantit le report du SST, jusqu’à ce qu’il ait pu être éliminé. Un de ses obstacles, le bang sonique, semble si complètement insoluble qu’il nécessite l’abandon total de toute idée de transport civil supersonique tel qu’il est conçu à présent.
(1) SST : SuperSonic Transport. Nous avons jugé préférable de conserver l’abréviation de l’auteur pour désigner l’avion de transport supersonique.

Obstacle N° 1 : nécessité et bénéfices éventuel du SST

Les gens ont-ils besoin réellement de voler à une vitesse supersonique ?
Il est remarquable, à notre époque où l’on fait une étude des marchés pour les produits les plus banaux, que l’on n’ait jamais demandé objectivement aux passagers s’ils préféreraient voler qu’être projetés en l’air. Et pourtant le SST met en jeu des milliards.
Essayons ce pendant de nous faire une idée des bénéfices que retirera un passager de vol subsonique et qui montrera la nécessité qu’il faut séparer une demande plus ou moins artificielle suscité par une propagande intense sur les bienfaits de la vitesse, et assistée par des subventions permettant de maintenir les tarifs du SST au niveau des tarifs des avions subsoniques.
Le bon en avant sans précédent dans le domaine de la vitesse que représentera le SST est mis en évidence dans la Figure 1. Toutefois, l passager n’est pas intéressé par la vitesse mais par la durée du voyage. C’est pourquoi les graphiques de la Figure 2 demandent à être considérés très sérieusement par les fanatiques du vol supersonique. Ces graphiques montrent avec évidence que les gains de temps du haut vol supersonique :
– sont modestes, en particulier si on les compare aux temps nécessaires pour aller au sol à l’aérodrome et pour en revenir.

– décroissent rapidement au fur et à mesure que la vitesse croît.

– seront sûrement réduits à la distance de l’aéroport à la ville augmente.

Le gain en temps plus confort sur des étapes de 5500 à 8000 km (le maximum pour un SST) sera certainement plus substantiel, mais en ce qui concerne le marché principal, c’est-à-dire l’Atlantique Nord, de nombreux passagers se demanderont si le gain de quelques heures de vol vaut vraiment à peine, car il faut en général plusieurs jours pour s’adapter aux décalages horaires. En ne pensant qu’à ceci et à l’attrait des bas tarifs actuels (démontré par le succès de la classe touriste), il est probable que seulement un faible pourcentage des passagers de l’Atlantique, accepteront de payer un tarif SST sensiblement plus élevé.

Figure 3 – Comparaison de confort et de la durée totale du voyage pour une étape de 4500 km, entre un avion subsonique (M = 0,85) utilisant un terrain à 12 km du centre de la ville et un avion supersonique (M = 2,2) à 35 km du centre de la ville. Une telle différence de distance sera de plus en plus fréquente dans le futur avec le développement des avions à décollage court.
Néanmoins, la plupart des passagers préfèreront un SST à un tarif égal et s’il est à une heure de départ et d’arrivée convenable. Mais ils préfèreront en général un vol subsonique convenablement programmé à un vol supersonique qui rognera sur leurs heures normales de sommeil (de tels seront indispensables, car une utilisation rationnelle des SST nécessitera des vols de 24 heures sur 24) en particulier parce que le manque de sommeil avant ou après le voyage accroitra leur fatigue et augmentera le temps d’adaptation de décalage horaire.

Jusqu’à ce que soit effectuée une étude de marché vraiment objectif où les inconvénients du SST seront aussi expliqués, il semble qu’à tarif égal le marché du SST sera limité aux étapes supérieures à 3500 km et n’intéressera que nettement moins de la moitié de ce marché.
Tableau ci-dessus ; Proportion estimée des passagers préférant le SST aux avions subsoniques dans plusieurs hypothèses au sujet de l’adaptation des horaires, de l’éloignement des terrains, des tarifs différents et des restrictions dues au banc. La surtaxe SST est supposée assez importante pour éviter la subvention des constructeurs et utilisateurs du SST. Les proportions dans le cas des tarifs égaux sont évidemment très rapprochées. Elles dépendent beaucoup du degré suivant lequel le gain de temps du SST aura pour contrepartie un confort inférieur et un temps plus long perdu au sol.
L’égalité des tarifs ne pourra toutefois être assurée qu’à l’aide de subventions très importantes, comme nous le verrons dans le chapitre suivant. Ceci étant, le simple bon sens recommande de retarder le SST et les énormes investissements et efforts qu’il exige, jusqu’à ce que des besoins beaucoup plus urgents de l’aviation subsonique aient été satisfaits.

Obstacle N° 2 ; Le SST est une hérésie économique

La plupart des études faites sur les prix de revient du SST (calculées par les méthodes habituelles) montre un prix de revient au siège/km nettement sup »rieur à celui des avions à réaction actuels.
Dans une étude récente en faveur du SST, les frais directs (D.O.C = Direct Operating Cost) du Concorde sont estimés à 33 % de plus que ceux du Boeing 707, si l’on ne tient pas compte de la capacité cargo de ce dernier (17% de la charge payante). Si l’on considère que le rapport du fret est seulement la moitié de celui des passagers, les frais direct de Concorde seront de 45% supérieurs.
SST (la longévité de ces avions est incertaine à cause de leur complexité et de la chaleur aérodynamique) :
Les faibles coefficients de remplissage sur les vols dont es horaires ne sont pas adéquats.
– Les temps d’escales plus longs (indisposant les passagers).
– La souplesse opérationnelle inférieure (les avions subsoniques font souvent des escales intermédiaires pour ramasser les passagers).
– Le rayon d’action limité (aux environs de 8000 km seulement alors que les avions subsoniques sont actuellement capables de voler plus de 10.000 km et feront mieux dans un avenir très rapproché).
– La capacité en fret inférieure.
– Les durées et les coûts d’entretien supérieurs.
– Le bang sonique qui empêchera l’extension du réseau SST et l’augmentation des frais et du temps de vol dus aux restrictions provoquées par le bang sonique.
– L’indemnisation des dégâts provoqués par le bang sonique et l’attrait moindre auprès du passager dû au bang (les passagers des SST souffriront du bang sonique eux aussi quand ils seront au sol).
-Les effets nuisibles des rayons cosmiques sur la régularité et l’enthousiasme des passagers.

Pour compenser tout cela, les frais directs standard de la première génération du SST devront être au moins 50% inférieurs à ceux des présents avions à réaction (Figure 4). Pendant plusieurs décades, il lui sera impossible de s’aligner sur les frais et les tarifs des avions subsoniques, en diminution continuelle.
Les Compagnies Aériennes utilisant le SST, à moins d’être largement subventionnées, auront donc le choix entre deux moyens de perdre de l’argent :
– soit en faisant payer à l’utilisateur les tarifs des avions subsoniques, tarifs qui seront loin de couvrir les frais.
– soit en appliquant des tarifs supérieurs qui décourageront les passagers. Cette alternative a pour résultat l’instabilité économique (tableau ci-dessus). Les tarifs largement supérieurs nécessaires pour couvrir les frais, en supposant le même le même tarif par rapport aux avions subsoniques de son époque, pour plusieurs raisons :
– La réduction continue des tarifs des avions subsoniques, à cause entre autres des améliorations de l’aéronautique.

– Le taux de dépréciation supérieur du SST, même dans l’hypothèse optimistes des mêmes frais direct que les avions à réaction actuels, le SST, sera largement handicapé sur le plan économique, coefficient de remplissage, tendront en réalité à réduire ce coefficient et par la même à être insuffisant. En augmentant les tarifs, de moins en moins de passagers utiliseront le SST. Le trafic restant nécessitera seulement un petit nombre de SST. Ceux-ci coûteront donc beaucoup plus cher à l’achat que s’ils étaient construits en séries plus importantes. Ou alors les Compagnies achèteront trop de SST, pour leurs besoins. Ceci accroîtrera les frais d’exploitation et par conséquent les tarifs qui, à leur tour, réduiront le trafic et nécessiteront un relèvement des prix, etc. L’équilibre sera finalement atteint pour un tarif beaucoup trop élevé et un trafic SST, trop faible. Pour éviter cela, et le constructeur et l’utilisateur du SST devront être subventionnés largement et d’une manière permanente.

Figure 4 – Valeur des frais d’exploitation directs par rapport à ceux des avions subsoniques actuels (1,0). Les frais des avions subsoniques suivant la limite inférieure (courbe A) de la zone hachurée si l’on s’applique à réduire les frais et les tarifs. Les barres horizontales 1, 2, 2, 4 indiquent le niveau où devraient se situer les frais du SST s’il arrive sur le marché aux époques indiquées espacées de cinq ans. On a tenu compte du fait que le SST devrait se situer à un niveau plus bas que l’avion subsonique pour compenser l’infériorité du SST dans certains domaines (rayon d’action, souplesse du chargement, etc). Il apparait que pendant plusieurs décades le SST courra à la poursuite des avions subsoniques dont les frais d’exploitation décroissent d’une manière régulière

Obstacle N° 3 : Dangers des rayons cosmiques

Mes avertissements précédents au sujet des rayons cosmiques, qui étaient établis sur des études faites par de nombreux spécialistes de radiations, ont récemment reçu confirmation du Docteur S.R MOHLER, Directeur de l’Institut de la Recherche Aéronautique Civile du F.A.A. Ses principales observations sont les suivantes :
Le niveau des radiations galactiques n’est probablement pas suffisant pour inquiéter les passagers du SST, mais doit être pris en considération en ce qui concerne l’équipage. Des poussées sporadiques des rayons cosmiques dues aux éruptions solaires associées avec les tâches solaires, se produisent relativement souvent aux altitudes de vol du SST au-dessus de 50 degré de latitude. Ceux-ci également sont en général trop faibles pour nuire aux passagers, mais devront également être pris en considération pour les équipages des SST, qui seront classée comme travailleur soumis aux radiations. Leurs temps de vol en altitude et en haute altitude devront être limités de manière à ne pas dépasser la clause de radiations maximum autorisée par année. Néanmoins, ils courent un certain risque que les radiations réduisent leur espérance de vie de 5 à 10%, et que des signes de vieillesse apparaissent plus tôt qu’on, ne l’attendait autrement.

Une à deux fois par an, le niveau des rayons dus aux éruptions solaires en altitude de vol du SST atteint une intensité qui est sans aucun doute dangereuse pour tout le monde.
En de telles occasions, elles peuvent correspondre à une dose de radiations supérieure à 25 roentgens. Les savants et médecins sont d’accord pour dire qu’une fraction de roentgens peut avoir une action nuisible sur l’embryon humain pendant les premières semaines de la grossesse, c’est-à-dire à l’époque où les femmes ne sont pas encore au courant de leur nouvel état. D’autres effets possibles sont la leucémie et la détérioration de cellules spermatiques. Le Dr MOLHER dit que cela peut être sérieux pour les pilotes âgés.
Comme le délai d’alerte n’est que de 15 minutes environ, la seule solution pour le SST est de descendre aux environs de 40.000 pieds, là où la plupart des rayons sont absorbés par l’atmosphère, et ensuite de terminer l’étape à une vitesse subsonique. Parce que le niveau de radiation croit très rapidement, la décision de descendre devra être prise par le pilote du SST en quelques minutes quand ses instruments d’alarme à bord commenceront à lui indiquer une élévation sérieuse du niveau des radiations ; on ne peut pas se fier à une autorisation de l’A.T.C (2) car les éruptions solaires provoquent souvent la rupture des communications radio.
(2) A.T.C : Service de contrôle de la circulation aérienne.

Mes conclusions :

1) La descente rapide à l’altitude subsonique devra être faite en même temps par tous les avions supersoniques affectés par l’éruption solaire. Ceci implique des risques de collision, car une grande partie de trafic du SST se trouve sur des routes qui se coupent et d’autre part le trafic subsonique aux altitudes plus basses est intense.

2) Au moment où es instruments lui indiqueront un niveau de radiations croissant, le pilote des SST se trouvera dans une situation délicate. Doit-il descendre rapidement et courir le risque d’une collision, d’une arrivée retardée et peut-être de consommer trop de carburant ? Ou doit-il prendre le risque de soumettre les occupants de l’avion, dont certains pourraient être des femmes enceintes, à des radiations dangereuses en restant à l’altitude supersonique ?, et il aura souvent raison de choisir cette dernière solution.

3) C’est pourquoi aucun passager d’un avion supersonique ne pourra être sûr qu’il ne pourra être soumis à une dose de radiations dangereuses. En particulier, des personnes du sexe féminin en âge d’avoir des enfants préfèreront probablement voler dans un avion subsonique. Les Compagnies utilisant des SST pourront aussi être amenées à s’abstenir d’employer des hôtesses, ce qui diminuera l’attrait du vol pour le passager.

4) La régularité des vols sera troublée par des vols supersoniques interrompus ou annulés, car de sévères éruptions solaires peuvent durer un jour ou même plus.

5) L’aviation se trouve donc en présence d’un conflit entre la morale et la technique. A mon avis, les avantages plutôt immatériels du SST ne peuvent un sel cas de leucémie, d’embryon endommagé ou quoi que ce soit de ce genre. D’autres pourront penser que les équipages du SST valent un prix bien supérieur. Mais à ce moment, comment chiffrer le nombre de cas acceptables, 10, 100 ou plus ?
A moins que l’on ne puisse garantir que les radiations dues aux fortes éruptions solaires à l’altitude de vol des avions supersoniques pourront et seront évitées par la procédure de descente rapide sûre (ce qui semble très difficile pour un temps assez long), des considérations morales exigent que l’on retarde l’avion supersonique jusqu’à ce que l’on puisse prouver que l’exposition du corps humain à haute altitude pendant les fortes éruptions solaires ne cause aucun dommage n’y à l’embryon ni au corps humain dans le domaine physique et génétique. Mais prouver ceci semble pratiquement impossible parce qu’on ne peut faire d’expériences concluantes sur des êtres humains d’une part, et parce que d’autre part nous n’avons pas la possibilité de reproduire en laboratoire certains composants à haute altitude en particulier les noyaux lourds (MOLHER)
Je pense que la charge de la preuve incombe aux champions du SST et non plus aux passagers. Ces derniers peuvent très bien voler en subsonique.

Obstacle N° 4 : Sécurité douteuse du SST

Le SST sera beaucoup moins sûr que l’avion subsonique à cause de :
1) l’amplitude sans précédent d’innovations techniques qu’il comporte.

2) l’échauffement aérodynamique des structures et circuits. A cause de l’effet de la durée lorsqu’il s’agit de l’échauffement, il ne sera pas possible de prédire le niveau de sécurité d’une structure ou d »un équipement tant que plusieurs SST n’auront pas volé pendant toute leur vie utile.

3) du manque d’expérience militaire correspondant.

4) la vitesse hautement supersonique qui rendra le pilote pratiquement aveugle en ce qui concerne les collisions avec les autres avions ou les phénomènes météorologiques tels que neige, nuages contenant de la turbulence, grêle ou pluie. Le temps de les voir et il sera trop tard.
Les nuages, quoique peu fréquents à l’altitude des vols du SST, existent et les traversées pourraient être catastrophiques : – Au sujet des dangers des cumulonimbus, il (Colonel Andrews, U.S.A.F), ne laisse pas son auditoire dans le doute. La seule règle était de s’abstenir d’y pénétrer. Un B-58 fut perdu alors qu’il essayait de grimper au-dessus d’une ligne orageuse, le rayon de virage à vitesse supersonique est si grand (90 km avec 60° d’inclinaison) que le pilote n’eut pas la possibilité de tourner avant d’entrer dans la zone orageuse. L’avion ne put pas atteindre l’altitude suffisante et se désintégra au contact de la turbulence rencontrée.
Le radar et le contrôle aérien ne pourront pas assurer la sécurité pratiquement absolue que les passagers payants sont en droit d’exiger.

5) Le danger de la turbulence en ciel clair :
Nous ne pouvons la prévoir avec un quelconque degré de sécurité et ce qui est plus sérieux, nous ne pouvons pas la détecter. La turbulence en ciel clair a été rencontrée à des altitudes qui vont de quelques milliers de pieds jusqu’à plus de 100.000 pieds sur des distances qui varient de moins de 15 km jusqu’à plus de 1500 km. Elle est totalement imprévisible et peut avoir la violence et l’intensité d’un orage.
La procédure recommandée pour les B-58 lorsqu’ils rencontrent de la turbulence en ciel clair à grande vitesse subsonique est de réduire immédiatement la vitesse. Ceci ne peut pas être fait à vitesse supersonique parce qu’on n’en a pas le temps et que le SST se mettrait en perte de vitesse (décrochage).

6) Les écarts par rapport à la route et par rapport au profil de consommation optimum auront pour résultat une augmentation de la consommation de carburant bien plus importante que pour les avions subsoniques. Ceci peut amener une diminution, critique des réserves de carburant et produire un conflit entre le pilote et le contrôle aérien au sujet des changements au plan de vol dans le but d’éviter les zones de turbulences.
Toutes ces circonstances concourent à accroitre grandement les risques imprévisibles en comparaison de ceux que courent les avions subsoniques. Les immenses efforts qui sont faits pour minimiser ces risques d’accident ou même un certificat de navigabilité, ne changeront rien à ce facteur.

Obstacle N° 5 : Le développement sain de l’aviation civile sera sérieusement handicapé

1) Comme le SST sera très coûteux, les Gouvernements concernés voudront éviter la faillite économique non seulement en fournissant des subventions, mais également en appliquant une politique de tarifs et d’accords commerciaux favorisant l’Aviation Supersonique. Ceci amènera des heurts entre les Compagnies utilisant des avions supersoniques et celles qui utilisent des avions subsoniques d’une part, et entre les Nations SST et les autres d’autre part.
2) Des efforts gigantesques, l’argent et la matière grise nécessités pour l’étude du SST seront employés au détriment des efforts nécessaires à l’amélioration de l’Aviation subsonique en ce qui concerne la réduction des tarifs, des d’escales et du bruit.
3) Pour des raisons ci-dessus, l’expansion de l’aviation sera grandement retardée. La perte en possibilité de voyages pour les masses excèdera de loin le gain de temps pour le relatif petit nombre de personnes qui voleront sur supersonique.
En fait, au total, nous perdrons du temps avec le SST. Celui-ci est donc incompatible avec le véritable but de l’aviation et devrai pour cette seule raison être retardé jusqu’à la complète maturité de l’aviation subsonique

Obstacle N° 6 : Les améliorations urgentes de la sécurité des vols seront rendues pratiquement impossibles.

La principale raison pour laquelle une sécurité très améliorée est si importante n’est pas que le risque que l’on prend lorsque l’on vole en tant que tel soit exagérément élevé, c’est plutôt le fait que la confiance dans la sécurité du vol dépend presque exclusivement de la fréquence des accidents catastrophiques et non pas du risque statistique.
La courbe B de la Figure 5 indique l’expansion possible de l’aviation régulière pour le monde entier. Elle est établie sur une hypothèse très conservatrice des diminutions du taux de croissance, c’est-à-dire d’environ 13% par an pour la période 1954-1964, jusqu’à une moyenne de 9% par an de 1965 à 1970, 8% aux environs 70, 7% aux environs de 80 et 6% par an vers 90.

La courbe en pointillé (échelle de droite) montre schématiquement le nombre d’accidents graves par an, si le taux d’accidents continue à osciller autour de son niveau présent, c’est-à-dire a peu près une mort pour 2 milliards de passagers/km, cette hypothèse est tout à fait réaliste puisque le niveau de sécurité ne s’est pratiquement pas amélioré pendant toute la période allant de 1953 à 1963. En supposant que l’aviation de transport à la demande atteigne le même niveau de sécurité que l’avion de transport régulier, il y aura, à la fin des années 80, environ 15.000 passagers tués chaque année, correspondant à environ une catastrophe aérienne tous les jours. Le taux d’accidents continuera alors à croitre rapidement jusqu’à atteindre 3 ou 4 accidents par jour aux environs des années 2010.
Il n’est pas besoin de beaucoup d’imagination pour comprendre cela ruinerait la confiance que peuvent avoir les passagers dans l’aviation. Cela retarderait son expansion, mais néanmoins, l’aviation continuerait à croître rapidement pour une foule de raisons économiques et autres ; de plus en plus, il n’y aura pas d’autres moyens de transport possible.

Les gens voleront donc de plus en plus et auront de plus en plus peur. Supposons, en prenant l’autre extrême, que nous puissions améliorer le niveau de sécurité, en proportion de la croissance de l’aviation, de telle manière que le nombre absolument d’accidents par an se maintienne à un niveau constant, quelle que soit l’expansion de l’aviation. Un tel développement aurait vite fait de faire de l’aviation un moyen de transport aussi sûr que n’importe quel transport de surface et par la suite la sécurité du vol serait de plus en plus supérieure. La peur de voler décroitrait rapidement au lieu de croitre. Voler de viendrait de plus en plus populaire, ce qui accélèrerait, au lieu de retarder, l’expansion de l’aviation. Ceci, en retour amènerait à des frais d’exploitation et à des tarifs plus faibles qui inciteraient encore plus des gens à voler, etc. Dans ce cas, l’expansion de l’aviation civile, comme elle est marquée sur la courbe A de la Figure 5, ne semble pas exagérément optimiste.

Figure 5 Les courbes A et B indiquent l’expansion possible de l’aviation régulière. La courbe en tireté (échelle de droite) montre l’accroissement du nombre des victimes annuelles si le taux d’accidents continue à varier comme aujourd’hui (1 mort pour 1,5 milliards de passagers/kilomètres). La courbe pleine et celle du bas, montrent la nécessité urgente d’améliorer le taux d’accidents pour maintenir le nombre de victimes actuelles à un niveau bas et approximativement constant malgré l’expansion de l’aviation.
L’objectif de l’amélioration de la sécurité à la même vitesse que la croissance de l’aviation devrait être l’objectif n° 1 de l’aviation. Rien d’autre n’a aucune importance comparable.
Je suis convaincu que ce but peut être atteint. Cependant, il exige d’énormes efforts et une politique radicalement nouvelle visant loin. Ce point de vue ne devrait être adopté sur le plan international et sa recherche mise en oeuvre avec le concours chaleureux de tous les Etats membres de l’O.A.C.I. Le coût en serait certainement élevé, mais aucun investissement ne rapporterait des dividendes qui puissent lui être comparés, même de loin, sous la forme d’une aviation prospère et des bénéfices pour l’humanité tout entière.
Je suis aussi convaincu que les immenses efforts et les énormes sommes investies dans l’étude du SST et les tensions que ce dernier provoque dans le monde aéronautique feront qu’il sera impossible d’atteindre cet objectif de sécurité et même de l’approcher.

Obstacle N° 7 : Le bang sonique et ses dégâts.

Ce qui fait du bang sonique un problème si sérieux, c’est l’extension sans précédent des zones qui en seront affectées. Pour chaque vol SST, un ”tapis de bang » de dimensions très importantes (aux environs de 150 km) s’étend autour du SST et se déroulera le long de la trajectoire de l’avion.

Les Figures 6 et 7 montrent que la plus grande part des nombreuses Nations et mêmes des continents sera couverte par les « tapis de bang” sonique. A cause de l’effet combiné de vols nombreux sur certaines routes et de la superposition de certaines trajectoires, certaines zones auront à supporter plusieurs centaines de bang par jour, c’est-à-dire des dizaines de mille et peut-être plus, des centaines de mille par an.

Figure 6 – Partis du globe intéressées par le bang du SST, les ”Tapis » de bangs soniques de 180 km de large correspondent à un SST de 180 tonnes volant à Mach 3 à 37.000 pieds. Si l’on considère la dispersion due au vent et à la navigation, la surface couverte est encore plus grande.
Une limite pour une intensité de bangs tolérables ou acceptables pendant une croisière à une altitude comprise entre 60 et 90.000 pieds, a été fixée à 1,54 lbs/sq.ft (0,7 g/cm2).

Figure 7 – Les tapis soniques qui couvriraient les Etats-Unis

Qui a accepté cette limite ?
Certainement pas les victimes, c’est-à-dire les gens qui vivent dans les pays qui seront affectés. On ne leur a même pas demandé leur avis, sauf à la population d’Oklahoma, pendant les expériences qui se déroulaient pendant le jour l’an dernier.
Pour l’accélération supersonique et la montée au-dessus de 40.000 pieds, la limite tolérable monte à 2 lbs/sq.ft par pied carré. Pourquoi ? Pourquoi les gens qui vivent dans la zone de montée du SST seraient-ils aptes à supporter un bang plus important ?
La raison est simplement que dans l’état de la science actuelle, on ne peut pas grimper à une altitude de croisière supersonique sans créer un bang d’une intensité supérieure à 2 lbs/sq.ft. Donc, cette limite doit être tolérable.

De nombreux citoyens d’Oklahoma City avaient l’habitude de se servir du bang de 7 heures le matin comme réveil et il faut pourtant que l’intensité moyenne des bangs près de la trajectoire des avions n’était que de 1,3 lbs/sq.ft. Ceci, à mon avis, est une preuve suffisante que l’aviation supersonique n’est pas réalisable. Si un bang sonique peut être utilisé comme un réveil, il réveillera certainement de nombreuses personnes, probablement la plus plupart des gens que le SST, survolera pendant la nuit.
Et peut-on réveiller des centaines de millions de personnes toutes les nuits partout dans le monde ? Le dilemme est que les compagnies aériennes, par l’intermédiaire de l’I.A.T.A, ont demandé que le SST soit autorisé à voler même la nuit au-dessus de n’importe quelle zone habitée. Si cela n’était, la mise oeuvre du SST serait encore plus désastreuse que le plan économique. Et même si le SST n’était utilisé que pendant le jour, il serait anormal de réveiller les nombreuses personnes qui ont besoin de dormir pendant le jour, tels que les gens qui travaillent la nuit, les malades, les personnes âgées, les petits enfants.
La suggestion que le SST pourrait être accepté si les bangs sont assez faibles pour ne réveiller que les dormeurs légers est également anormale. Les gens qui ont le sommeil léger ont le même droit de dormir que les autres. En fait, c’est même plus important pour eux qui ont beaucoup de la peine à dormir la nuit de pouvoir dormir à leur gré. On peut même se demander pourquoi la moindre gène dans le sommeil doit être tolérée du fait du bang sonique ?

En fait, la menace du bang sonique est encore pire à cause de la dispersion inévitable autour d’une valeur moyenne de l’intensité du bang. Ceci est dû aux variations importantes des conditions atmosphériques
(températures, vent, neige, etc.) et aux écarts du SST par apport à un vol supersonique en ligne droite sans accélération. Il en résulte la possibilité de bangs d’une intensité 2 à 3 fois supérieure assez fréquemment et dans des circonstances exceptionnelles de super-bangs d’une intensité vérifiable aux environs de 5 à 10 fois l’intensité moyenne.
La dispersion et l’impossibilité de prévoir le bang sonique dépassent largement celles d’aucun autre bruit provoqué par l’homme.
Tout ceci est bien connu après des années d’expérience militaire. Néanmoins, les deux limites acceptables (1,5 et 2 lbs/sq.ft) se rapportent à des valeurs moyennes et théoriques, et ont été déterminées sans aucune tolérance pour les inévitables localisations du bang.

Il y a de nombreuses preuves que des bangs amplifiés au-dessus 2 lbs/sq.ft, outre le choc qu’ils provoquent chez le gens, causes des dommages aux immeubles tels que fentes dans le ciment, dans les murs en plâtre et vitres brisées. Le directeur du building de 33 étages de la First National Bank à Oklahoma vit une des grandes vitres de son bureau se fendre à l’instant où un bang se fit entendre. Si de telles vitres peuvent éclater, des morceaux de verre peuvent tomber dans la rue et provoquer des accidents.
On a suggéré qu’il était possible d’assurer des dégâts causés par le bang aux immeubles et aux animaux, ainsi qu’aux personnes, et par là même de le ramener à un seul problème économique.
Ce serait au plus haut point anti-démocratique car en aucun cas l’assurance ne peut légaliser la destruction de la propriété privée et l’agression contre les personnes physiques. Nous ne l’acceptons pas et à plus forte raison nous ne voulons pas légaliser le brigandage en assurant ce qui nous appartient.
De plus, il sera impossible de prouver si le dommage a été causé par le SST et dans quelle mesure pour prouver que les fentes dans le plâtre ou les fêlures dans les vitres sont provoquées par le bang sonique, il faudrait que chaque fois que l’on s’attend à un vol supersonique, on surveille tout ce qui existe dans la zone impliquée par le bang intermédiaire de caméras et d’enregistrements sonores.

En outre, il y a un effet cumulatif des bangs répétés dus à la répétition des efforts. Que la faille finale ou la rupture d’une structure qui a été affaiblie par des milliers de bangs précédents soit en fait déclenchée ou non par le bang (ou par exemple par le passage d’un camion) est en fait immatériel. Le propriétaire a droit à une compensation pour les dommages provoqués par le bang avant l’apparition de cette faille ou de cette rupture, ce qui est évidemment impossible à déterminer. Naturellement, il y aura aussi l’effet cumulatif sur le plan physiologique et mental à l’égard des êtres humains et des animaux exposés à des bangs répétés. On a aussi suggéré que si la gêne provoquée par le bang n’était pas pire que celle provoquée par une usine, un train, la proximité d’une autoroute ou d’un aéroport, les gens devraient normalement s’en accommoder. Ceci est absurde. Le fait réel que la civilisation exige du bruit dans certaines zones limitées rend encore plus importante la nécessité pour la plus grande partie du pays de se trouver dans le calme.
Seulement alors, il sera possible pour les gens qui sont submergés de bruit pendants leurs heures de travail, de se détendre, de profiter de la paix et de la solitude pendant leurs soirées et leurs nuits, ainsi que pendant leurs week-end, leurs vacances, leurs congés maladie et leur retraite.

Les tests des réactions du public et les statistiques des réclamations ne sont pas suffisantes pour déterminer le mal réel et la justification du bang sonique. Les gens qui souffrent le plus peuvent très bien être incapables de se plaindre. D’autres peuvent arrêter leurs plaintes lorsqu’ils s’aperçoivent qu’elles sont sans effet (c’est ce qu’on appelle amélioration des réactions du public). C’est le mal fait sur le plan médical qui compte. Et on ne peut s’en rendre compte que par des études faites par les médecins. On a suggéré que le SST pourrait ne voler qu’au-dessus des zones de faible densité de population, ceci est également anormal. Si le bang sonique insupportable pour la population des villes, il sera encore plus insupportable pour la population des campagnes qui a l’habitude de la tranquillité et qui peut avoir justement fuit la ville pour échapper au bruit. En outre, le système de démographie n’autorise pas une majorité à brimer une minorité.
La même remarque s’applique à la suggestion de limiter la montée supersonique aux zones maritimes ou de limiter l’utilisation du SST sur les routes maritimes. Cela ne ferait pas l’affaire des pêcheurs et des autres personnes qui vivent sur la mer. Les gens sont en général préparés à s’accommoder d’un niveau raisonnable de bruits connus dans certaines zones déterminées et principalement pendant les heures de travail et des jours de semaine, comme sous-produit inévitable d’une activité nécessaire et profitable.

Mais l’aviation supersonique ne provoquera pas seulement des perturbations importantes et imprévisibles le jour et la nuit tout au long de l’année dans des zones d’une amplitude sans précédent, rendant toute évasion impossible, mais elle causera d’une manière également imprévisible des dommages aux immeubles, aux animaux, aussi bien que des accidents mortels. Et ceci n’est ni nécessaire, ni important, ni profitable ; c’est en fait tellement peu profitable que cela pourrait se produire qu’avec l’aide de subventions importantes.
De toute évidence, pour que cette forme d’aviation, si peu nécessaire et désirée, soit acceptable, il est nécessaire que l’intensité moyenne maximum admissible du bang soit fixée à un niveau assez bas pour que :
1) Cette intensité moyenne elle-même n’éveille pas plus qu’un petit pourcentage de gens au sommeil léger.
2) Les intensités très supérieures à la moyenne dues à la focalisation aient très rarement pour résultat de réveiller les gens normaux ainsi que de causer un dommage quelconque aux hommes ou aux animaux, ou aux immeubles.
3) L’on puisse prouver que les effets cumulatifs sur une période d’aux moins plusieurs décades, sur les humais, les animaux et les immeubles, provenant de la répétition des bangs d’intensité variée, soient pratiquement négligeables.
Pour être en accord avec ces trois critères, l’intensité moyenne du bang devra être limitée aux environs de 0,03 lbs/sq.ft.
Ceci toutefois limiterait tellement la taille du SST qu’il ne pourrait alors pas embarquer plus d’une demi-douzaine de passagers.

En bref, l’abime qu’il y a entre l’intensité moyenne du bang qui sera produit par le SST transportant une charge marchande raisonnable et le niveau moyen qui est acceptable et justifiable est si important qu’il ne peut être comblé dans l’état présent ou prévisible de la science.

Arguments en faveur du SST.

Les raisons que l’on avance en général pour justifier la nécessité du SST ne sont en général pas basées sur le client, c’est-à-dire sur le passager, mais sur la présomption que le SST est nécessaire :
1) Pour des raisons de prestige et pour maintenir une position prédominante dans le domaine de l’aéronautique.
2) Pour maintenir la charge de travail de l’industrie aéronautique et par conséquent améliorer l’économie nationale.
3) Pour augmenter les exportations et par là, améliorer la balance commerciale.
4) Pour profiter des progrès technologiques que l’étude du SST aura fait réaliser.
La plupart de ces arguments à première vue dépendent du succès commercial du SST. Un échec aura certainement pour conséquence une perte de prestige et des inconvénients sérieux pour l’industrie aéronautique et par conséquent pour l’économie nationale.
Un échec semble inévitable si le SST n’est accepté ni par les passagers au tarif qu’on leur proposera, ni par les populations soumises au bang.
Il semble être l’option courante, même chez les économistes que le niveau de vie peut être élevé par l’expansion de la production, même si les articles produits ne correspondent à aucune nécessité et ne sont pas utilisés par la majorité des gens qui sont supposés jouir de ce niveau de vie amélioré et même si l’utilisation de ses produits (le SST) ne rapporte rien et nécessite une subvention. Ceci n’est pas logique, mais cette conception erronée est à l’origine de l’exagération du rôle que l’on a donné au SST en tant que produit industriel.

Bien entendu, si le matériel SST exporté d’un pays à plus de valeur que celui qui est importé, il y aura une amélioration monétaire de la balance commerciale. Mais ceci sera contrebalancé par le fait que les frais d’études et de mise au point du SST, seront, comme c’est probable, à la charge du Gouvernement. De plus, le niveau de vie du monde occidental pris dans son ensemble ne peut pas être amélioré par la vente et l’utilisation d’un produit non rentable à l’usage exclusif d’une petite minorité.
En fin de compte, comme l’aviation civile est après tout une entreprise commerciale pour le bien des passagers payants, les à-côtés technologiques, prévus du SST, si celui-ci se fait, pourront difficilement justifier le
développement au détriment du vol sûr et bon marché. Il apparait donc que les arguments en faveur du SST, n’auront de poids que si l’on peut au préalable réfuter les 7 arguments contre-énoncés plus haut.

La démocratie mise en cause.

L’aviation supersonique telle qu’elle est conçue actuellement est antidémocratique. D’abord parce qu’elle diminuerait sérieusement les chances de voir l’aviation civile proposer un moyen de transport convenable, de plus en plus sûr et bon marché pour les masses. D’autre part, s’il est bien une idée antidémocratique, c’est celle que le SST, activité de luxe caractérisée à cause des frais énormes qu’il faut envisager pour satisfaire un besoin discutable et de petite envergure, pourrait justifier les risques dus aux radiations et par-dessus tout, les ennuis et dommages et même risques mortels qui seraient causés pratiquement partout par le bang sonique.
Enfin, que les gens qui pâtiraient de ces ennuis devraient avoir à payer de leur propre poche, par l’intermédiaire des impôts pour la subvention, la cause même de ces ennuis, c’est-à-dire le SST. Toutefois, cette perspective plutôt effrayante laisse place à quelques espoirs. Une fois l’aviation supersonique mise en route, le public, lui, sera violemment opposé et des efforts de plus en plus importants seront faits pour l’interdire ou limiter son activité d’une manière draconienne.
Ceci sera réalisé par l’utilisation des méthodes démocratiques à l’échelon national et international. Avec ou sans pression du public, les gouvernements des nations qui devront s’attendre à être survolées par les SST, c‘est-à-dire pratiquement tous les pays, pourront décider et déclarer l’interdiction de tels survols jusqu’à ce que la preuve soit faite que le bang sonique ne provoquera pas de dégâts.
De plus, une pression sans cesse croissante sera sans doute exercée sur les Nations Unies et sa filiale le W.H.O (O.M.S), pour arriver à un accord international sur les conditions acceptables du SST.
Ceci se traduira en fait par le retour à une aviation entièrement subsonique.

Mais le coût d’une telle reconversion sera fantastique et les dégâts seront d’autant plus importants que l’ère supersonique aura duré plus longtemps. Il est donc de l’intérêt général de l’humanité et de l’aviation d’agir le plus tôt possible pour arrêter le SST. Si cela était fait, ce serait une victoire de la démocratie. Cela laisserait Aussi espérer que les autres conflits existants ou imminents entre la morale et la technique pourraient être résolus de la même manière.

BO K.O. LUNDBERG